Climat, faune, flore de la Lune
Des nuits, ô Lune d’Immaculée-Conception,
Moi, vermine des nébuleuses d’occasion,
J’aime, du frais des toits de notre Babylone,
Concevoir ton climat et ta flore et ta fauneNe sachant qu’ inventer pour t’offrir mes ennuis,
Ô Radeau du Nihil aux quais seuls de nos nuits!Ton atmosphère est fixe, et tu rêves, figée
En climats de silence, écho de l’hypogée
D’un ciel atone où nul nuage ne s’endort
Par des vents chuchotant tout au plus qu’on est mort?
Des montagnes de nacre et des golfes d’ivoire
Se renvoient leurs parois de mystiques ciboires,
En anses où, sur maint pilotis, d’un air lent,
Des sirènes font leurs nattes, lèchent leurs flancs,
Blêmes d’ avoir gorgé de lunaires luxures
Là-bas, ces gais dauphins aux geysers de mercure.Oui, c’est l’automne incantatoire et permanent
Sans thermomètre, embaumant mers et continents,
Étangs aveugles, lacs ophtalmiques, fontaines
De Léthé, cendres d’air, déserts de porcelaine,
Oasis, solfatares, cratères éteints,
Arctiques sierras, cataractes l’air en zinc,
Hauts-plateaux crayeux, carrières abandonnées,
Nécropoles moins vieilles que leurs graminées,
Et des dolmens par caravanes, -et tout très
Ravi d’ avoir fait son temps, de rêver au frais.Salut, lointains crapauds ridés, en sentinelles
Sur les pics, claquant des dents à ces tourterelles
Jeunes qu’ intriguent vos airs ! Salut, cétacés
Lumineux ! Et vous, beaux comme des cuirassés,
Cygnes d’ antan, nobles témoins des cataclysmes;
Et vous, paons blancs cabrés en aurores de prismes;
Et vous, fœtus voûtés, glabres contemporains
Des sphinx brouteurs d’ennuis aux moustaches d’airain
Qui, dans le clapotis des grottes basaltiques,
Ruminez l’Enfin! Comme une immortelle chique!Oui, rennes aux andouillers de cristal ; ours blancs
Graves comme des Mages, vous déambulant,
Les bras en croix vers les miels du divin silence!
Porcs-épics fourbissant sans but vos blêmes lances;
Oui, papillons aux reins pavoisés de joyaux
Ouvrant vos ailes à deux battants d’in-folios;
Oui, gélatines d’hippopotames en pâles
Flottaisons de troupeaux éclaireurs d’encéphales;
Pythons en intestins de cerveaux morts d’abstrait,
Bancs d’éléphas moisis qu’un souffle effriterait!Et vous, fleurs fixes ! Mandragores à visages,
Cactus obéliscals aux fruits en sarcophages,
Forêts de cierges massifs, parcs de polypiers,
Palmiers de corail blanc aux résines d’acier!
Lys marmoréens à sourires hystériques,
Qui vous mettez à débiter d’albes musiques
Tous les cent ans, quand vous allez avoir du lait!
Champignons aménagés comme des palais!Ô fixe! On ne sait plus à qui donner la palme
Du lunaire; et surtout quelle leçon de calme!
Tout a l’air émané d’ un même acte de foi
Au Néant Quotidien sans comment ni pourquoi!
Et rien ne fait de l’ombre, et ne se désagrège;
Ne naît, ni ne mûrit; tout vit d’un Sortilège
Sans foyer qui n’induit guère à se mettre en fraisQue pour des amours blancs, lunaires et distraits….
Non, l’on finirait par en avoir mal de tête,
Avec le rire idiot des marbres Egynètes
Pour jamais tant tout ça stagne en un miroir mort!
Et l’on oublierait vite comment on en sort.Et pourtant, ah! c’est là qu’on en revient encore
Et toujours, quand on a compris le madrépore.
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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