Charlottembourg
ou le tombeau de la reine de Prusse
Le voyageur.
Sous les hauts pins qui protègent ces sources,
Gardien, dis-moi quel est ce monument nouveau ?Le gardien.
Un jour il deviendra le terme de tes courses :
O voyageur ! c’est un tombeau.Le voyageur.
Qui repose en ces lieux ?
Le gardien.
Un objet plein de charmes.Le voyageur.
Qu’on aima ?Le gardien.
Qui fut adoré.Le voyageur.
Ouvre-moi.Le gardien.
Si tu crains les larmes,
N’entre pas.Le voyageur.
J’ai souvent pleuré.Le voyageur et le gardien entrent.
Le voyageur.
De la Grèce ou de l’Italie
On a ravi ce marbre à la pompe des morts.
Quel tombeau l’a cédé pour enchanter ces bords ?
Est-ce Antigone ou Cornélie ?Le gardien.
La beauté dont l’image excite tes transports
Parmi nos bois passa sa vie.Le voyageur.
Qui pour elle à ces murs de marbre revêtus
A suspendu ces couronnes fanées ?Le gardien.
Les beaux enfants dont ses vertus
Ici-bas furent couronnées.Le voyageur.
On vient.Le gardien.
C’est un époux : il porte ici ses pas
Pour nourrir en secret un souvenir funeste.Le voyageur.
Il a donc tout perdu ?Le gardien.
Non : un trône lui reste.Le voyageur.
Un trône ne console pas.
Berlin, 1821.
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François-René de CHATEAUBRIAND
François-Auguste-René, vicomte de Chateaubriand, né à Saint-Malo le 4 septembre 1768 et mort à Paris le 4 juillet 1848, est un écrivain romantique et homme politique français. Il est considéré comme l’une des figures centrales du romantisme français. Si le rôle politique de Chateaubriand dans la mouvance royaliste au... [Lire la suite]
Gardien attentif
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Ce gardien très modeste est chaussé de savates,
Il est fort vigilant, sauf s’il va boire un coup ;
Il porte un uniforme, auquel il tient beaucoup,
Mais il oublie souvent d’arborer sa cravate.
Il aime les sergents, bien que ce soient des fous,
N’ayant point de bon sens sous leur casquette plate ;
Il aime le major au foulard écarlate
Et le vieux général coiffé d’un chapeau mou.
Ce gardien est honnête, il ne fait rien de louche,
N’ayant pas plus d’argent que la solde qu’il touche,
N’ayant point le désir de se voir galonné ;
Il écrit quelquefois des vers pour une dame,
Et je crois qu’un baiser par elle fut donné,
Qui d’un beau lieutenant est cependant la femme.
Gardien du sanctuaire babylonien
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Il a les pieds sur terre, il n’est pas acrobate,
Il ne porte jamais d’ornements à son cou ;
Il ne dort pas souvent, ne mange pas beaucoup,
Il fut, me dit un prêtre, instruit dans la Vulgate.
Une louve est sa mère, et son père un chien fou,
Il fut jadis épris de sa cousine Agathe ;
Mais elle voulut vivre avec un pélobate,
Il a juste pensé « C’est bon, chacun ses goûts ».
L’orgue le fait vibrer, la prière le touche,
Ce vigilant gardien pour écouter se couche,
Il a compris que Dieu ne peut l’abandonner.
Il fréquente parfois la maison d’une dame,
À la boisson, tous deux, je les crois adonnés,
Et que ferait-il d’autre, en face d’une femme ?
Seigneur chaussé de magenta
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Ce comte aime arborer des souliers fantaisistes
Qui lui furent offerts par le baron de Crac,
Lequel en son bagage en avait tout un sac ;
Plus d’un contemporain le prend pour un fumiste.
D’autres l’ont regardé comme un surréaliste,
C’est notamment le cas de ses copains de fac ;
Il pourrait figurer dans la Rubrique-à-Brac,
Lui dont la silhouette inspire les artistes.
Nous admirons aussi sa chemise fripée,
Son cheval fatigué par maintes équipées
Et son vaste chapeau, rose et faramineux.
Tu l’entends au comptoir parler en hyperboles,
Avec lui, tout sujet se change en sac de noeuds ;
La grammaire est noyée, les mots se carambolent.