Chanson à manger
Quand j’ay bien faim et que je mange
Et que j’ay bien dequoy choisir,
Je ressens autant de plaisir
Qu’en grattant ce qui me demange.
Cher Amy, tu m’y faits songer :
Chacun fait des Chansons à boire,
Et moy, qui n’ay plus rien de bon que la machoire,
Je n’en veux faire qu’à manger.Quand on se gorge d’un potage
Succulent comme un consommé,
Si nostre corps en est charmé,
Nostre ame l’est bien davantage.
Aussi Satan, le faux glouton,
Pour tromper la femme premiere,
N’alla pas luy monstrer du vin ou de la biere,
Mais dequoy branler le menton.Quatre fois l’homme de courage
En un jour peut manger son saoul ;
Le trop boire peut faire un fou
De la personne la plus sage.
A-t’on vidé mille tonneaux,
On n’a beu que la mesme chose,
Au lieu qu’en un repas on peut doubler la doze
De mille differans morceaux.Quel plaisir lors qu’avec furie,
Apres la bisque et le rosty,
D’un entremets bien assorty
Vient reveiller la mangerie !
Quand on devore un bon melon
Trouve-t’on liqueur qui le vaille ?
Ô cher Amy Potel ! je suis pour la mangeaille :
Il n’est rien tel qu’estre glouton.
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Paul SCARRON
Paul Scarron est un poète et écrivain français contemporain de Louis XIII né le 4 juillet 1610 à Paris, mort le 6 octobre 1660 à Paris. Issu de la noblesse de robe, septième enfant de Paul Scarron, conseiller au Parlement de Paris à la cour de comptes, et de Gabrielle Goguet, il entre dans les ordres en 1629. Il vit au Mans de... [Lire la suite]
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Si le ciel de nectar abaissait sa hauteur,
Je voudrais en franchir les portes éternelles
Et manger sur la table où de bons serviteurs
Apportent la pitance avec le plus grand zèle.
*
Vers le divin pinard ils tournent tous leurs yeux
Le brouillard de l'ivresse emplit leurs douces âmes
Ciel de nectar, alors, tu deviens plusieurs cieux !
Le marcassin sera consumé dans ta flamme.
*
Ils pensent au jambon, au lard, au cervelas,
Et puis bien sûr à la saucisse de Toulouse,
On dit qu'aucun d'entre eux jamais ne se brûla
Les yeux à la beauté d'amante ou bien d'épouse.
*
Jamais ils n'ont régi le monde à coups de poings,
Jamais ils n'ont brisé clôture ni muraille,
Tué dessous le ciel de nectar, ils n'ont point.
Rien n'est plus innocent que leurs braves entrailles.
*
L'hérésiarque lui-même, implacable et jaloux,
Tout rempli d'arrogance en ses haillons de bure,
Sous l'effet du pinard qu'il écluse à genoux,
Adopte une attitude un peu moins triste et dure.
Vous trouverez sous ce lien un podcast de l'émission de radio "Poezio", où nous avons lu, entre autres, cette si bonne "Chanson à manger". Un grand merci pour cette découverte !
http://www.radiopanik.org/emissions/poezio/facondes-dhier-et-daujourdhui/