Poème 'Camarades' de Robert DESNOS dans 'Les Sans Cou'

Camarades

Robert DESNOS
Recueil : "Les Sans Cou"

Papier, plie-toi, sois la rose et l’arc-en-ciel,
Sois la soie, sois là ce soir,
Sois lasse.
Une faux oubliée au flanc d’un cadavre ouvre lentement les yeux.
Se dandine un instant, secoue ses falbalas d’un autre âge et se mire au miroir de son corps,
S’indigne, s’encolère, se monte le bourrichon, se déchaîne.
Le mort lui donne une pomme de terre, une petite pomme de terre,
Fauche la pomme de terre,
Fauche la rose et l’arc-en-ciel et la soie et le soir,
Puis reprend sa place au flanc du cadavre.
Déroulant un écheveau sali par les temps et la poussière et l’eau qui suinte des vieilles murailles,
Le ciel se dissimule derrière les forêts où maintes femmes se devinent et se révèlent et se questionnent,
Dans l’ombre grasse des troncs d’arbres.
Personne ne sortira de la petite maison bariolée au haut de la colline,
En dépit d’une foule surgissant au détour de la route, drapeaux rouges claquant au vent,
En dépit même de l’appel : Camarade, Camarade, camarade, CAMARADES !
Voici ce qu’était le paysage avant le fameux événement :
Quelques mouches volaient en bourdonnant au-dessus d’une plaie d’où l’acier coulait mieux que le sang.
Le son d’un marteau part de loin,
Il part, il vole avec son petit chapeau de paille.
Quant à la faux, les senteurs du vent lui mirent une chemise bleue et encore une chemise jaune.
Les senteurs de la rivière lui mirent une tunique de corail et une tunique d’acier.
Les senteurs des feuilles lui mirent une tunique de salpêtre et de phosphore,
Et les senteurs de la dernière heure, une crinoline de satin avec des fleurs.
Elle attendit en jouant avec son ombrelle
Que le son du marteau arrivât de loin.
Arriva en inclinant son chapeau vers elle,
Un bouquet à la main, le sourire en coin.
Ils mangèrent du poulet, burent du pommard,
Ils mangèrent des grives, burent du champagne,
Ils mangèrent des huîtres et du homard,
Et jouèrent aux dames à qui perd gagne.

Ils se battirent comme des chiffonniers
Jusqu’au moment où, satisfait de leurs blessures,
Le ciel rassuré sortit hors des halliers.
Est-ce votre sort d’être dupe des ombres ?
Vaut-il pas mieux être dupé par la chair ?
Perdre son sang par des blessures sans nombre
Et n’offrir à la mort qu’un triste festin et qu’une maigre chère ?

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

Aucun commentaire

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS