Poème 'Bêtes' de Théodore de BANVILLE dans 'Sonnailles et Clochettes'

Bêtes

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Sonnailles et Clochettes"

Hier, comme il est essentiel
De fuir les foules turbulentes,
Pour contempler un peu de ciel
Je flânais au Jardin des Plantes.

J’oubliais tout, les biens, les maux,
La science trop incertaine,
Et je vis tous les animaux
Qu’a chantés le bon La Fontaine.

Comme le Soleil en courroux
Qui s’endort sur les marécages,
Le Tigre et le grand Lion roux
Semblaient s’ennuyer dans leurs cages.

Ce temps est dur pour les Lions,
Disait le grand porte-crinière;
Il ne faut pas que nous voulions
Éviter l’injure dernière.

On ne sait plus ce que valait
Ma colère et ma vaste joie,
Et maintenant c’est un valet
Qui m’apporte un semblant de proie. –

Tandis qu’un éclair triomphant
S’allumait dans les yeux de l’Aigle,
Ce héros, l’antique Éléphant
Mangeait un petit pain de seigle.

Et se dandinant avec pompe,
Ce dieu solidement bâti
Égalait par sa belle trompe
Ganéça, fils de Parvati.

Le Singe à des hommes divers,
Pour accomplir son ambassade,
Enseignait des gestes pervers,
De la part du marquis de Sade.

Léchant sa femelle ardemment,
Rhythmique, avec des yeux folâtres
Et des gentillesses d’amant,
L’Ours noir grognait: Oh! les théâtres! –

Le Perroquet taché de feu,
Sans peur ouvrant son bec solide,
Criait: Député jaune et bleu,
Je ne veux pas qu’on m’invalide! –

Il disait, le divin Chameau,
Dont les jambes valent des ailes:
Fi du joueur de chalumeau
Qui me compare aux demoiselles!

Le Rossignol dans son verger,
Parlait du ténor qui l’obsède,
Et la Gazelle au pas léger
Se plaignait du vélocipède.

Avec son air paisible et fou
Je vis l’innocente Girafe
Qui fait sa belle, et dont le cou
A l’élégance d’un paraphe.

Cette bête, qui dans la nuit
Va d’un pas naïf, qu’elle scande,
Me dit: la Tour Eiffel me nuit;
C’est une Girafe plus grande. –

Aspirant les senteurs de pin
Que la noire forêt compose,
L’ingénu, le tendre Lapin
Disait, furtif: C’est moi qu’on pose.

Car, et je n’y vois aucun mal,
Poser un lapin signifie:
Je vous paierai, foi d’animal!
Monsieur, bien fol est qui s’y fie. –

Je vis sur les eaux, restant coi,
L’oiseau que sa blancheur désigne.
Et courroucé, je dis: Pourquoi
Donc es-tu Cygne? On n’est pas Cygne.

Quelle chimère! On est Canard.
En des coins-coins analytiques
On s’envole, car c’est un art,
Dans les grands journaux politiques.

Ou bien l’on est Oie, et ce nom
Fait qu’on trouve une gloire insigne,
Comme la déesse Junon.
Hélas! me répondit le Cygne,

L’Oie est un digne objet d’amour,
Elle s’envole comme un Ange.
Rien n’égale une basse-cour
Où l’on barbote dans la fange.

Là, comme aux noces de Cana,
On s’enivre de mille joies.
Bonheur idéal! Mais on n’a
Pas voulu de moi chez les Oies!

10 décembre 1889.

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

  1. L’oie d’argent
    ---------------

    Majestueuse est ma stature,
    Je dis cela sans me vanter ;
    Je sais danser, je sais chanter,
    Je suis une oiselle immature.

    J’aime marcher à l’aventure,
    L’univers m’offre sa beauté ;
    Mon coeur en reçoit la clarté,
    Le fier Pégase est ma monture.

    Un pluvian me sert d’écuyer,
    Sur la route il sait m’aiguiller ;
    Rieur est son tempérament.

    Mes valises ne sont pas lourdes,
    Que mes valets portent gaîment ;
    Ils ont du bon vin dans leur gourde.

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS