Beauté Cruelle
Certes, il ne faut avoir qu’un amour en ce monde,
Un amour, rien qu’un seul, tout fantasque soit-il ;
Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil,
Voilà qu’il m’est à l’âme une entaille profonde.Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid :
Je ne puis l’approcher qu’en des vapeurs de rêve.
Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s’élève
Et dédaigne mon cœur pour en œil qui lui plaît.Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange !
Si nous eussions tous deux fait de figure échange,
Comme elle m’eût aimé d’un amour sans pareil !Et je l’eusse suivie, en vrai fou de Tolède,
Aux pays de la brume, aux landes du soleil,
Si le Ciel m’eût fait beau, et qu’il l’eût faite laide !
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Émile NELLIGAN
Émile Nelligan (24 décembre 1879 à Montréal – 18 novembre 1941 à Montréal) est un poète canadien (québécois). Disciple du symbolisme, il a été profondément influencé par Octave Crémazie, Louis Fréchette, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Georges Rodenbach, Maurice Rollinat et Edgar Allan Poe. Parmi les... [Lire la suite]
Émile Nelligan trouve belle sa blonde ;
Il se voit au miroir : « Je suis moins beau », dit-il.
Après quoi, il nous sort un argument subtil
Sur la permutation qui changerait leur monde.
Rassure-toi, mon gars, nul ne te trouve laid ;
Tu as un beau regard, porteur de puissants rêves,
Tu parles en sonnets où ton âme s'élève,
Nous aimons ton esprit, ton langage nous plaît.
Même quand tu produis des poèmes étranges,
Des rhapsodes maudits tu restes le bon ange ;
Ils sont presque jaloux de tes mots sans pareils.
Tel Don Quichotte armé d'un acier de Tolède,
Tu suis le long chemin que baigne un beau soleil :
Ton existence, ami, ne sera jamais laide !
« Collaborons, Maître admiré,
en mettant au monde un marmot
lequel aurait votre cerveau
serti dans ma grande beauté... »
Ainsi disa-t-une groupie
à l’humorist Shaw ou Guitry
« - Et si c’était l’inverse... »
Roi-Paon
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L’admirable Roi-Paon, parmi les moissons blondes,
Se pavane en été : « Je suis fort beau », dit-il,
Sans user pour cela d’un argument subtil,
Il a l’assentiment des animaux du monde.
S’il arrive pourtant que le corbeau réponde,
Il réplique aussitôt : « Ne dis rien, oiseau vil
Dont l’horrible chanson au fil du jour s’élève,
Par mon verbe élégant, quelques mots te confondent. »
Le paon lance, il est vrai, une clameur étrange,
Mais chacun reconnaît qu’il est beau comme un ange ;
Les oiseaux sont jaloux de ce roi sans pareil.
Ses pères ont charmé les émirs de Tolède,
Quand au sein de leur parc ils prenaient le soleil :
S’il ne chante pas bien, son âme n’est pas laide !
Étalon rêveur
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J’aime cette jument dont la crinière est blonde,
Lumineux le regard et provocants les cils ;
Mais c’est une rusée qui me croit peu subtil
Et peu digne, vraiment, d’accéder à son monde.
Je lui parle de loin, ses frères me répondent
Que si je m’approchais, je serais en péril ;
Moi qui ne veux pourtant rien proposer de vil,
Avec un délinquant, sans doute, ils me confondent.
Aristote l’a dit, les femmes sont étranges,
Surtout celles, vois-tu, qui te semblent des anges ;
Respectons ce penseur, il est de bon conseil.
Mais, aimable lecteur, si leur cause tu plaides,
Composant un poème à nul autre pareil,
Je comprendrai que c’est pour venir à mon aide.
Après c'est curieux l'emploi du subjonctif au niveau des deux tercets.
Ça laisse pantois
Roi-Paon (retouche)
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L’admirable Roi-Paon, parmi les moissons blondes,
Se pavane en été : « Je suis fort beau », dit-il,
Sans user pour cela d’un argument subtil,
Il a l’assentiment des animaux du monde.
S’il arrive pourtant que le corbeau réponde,
Il réplique aussitôt : « Ne dis rien, oiseau vil
Dont l’horrible chanson me fait perdre le fil,
Par mon verbe élégant, quelques mots te confondent. »
Le paon lance, il est vrai, une clameur étrange,
Mais chacun reconnaît qu’il est beau comme un ange ;
Les oiseaux sont jaloux de ce roi sans pareil.
Ses pères ont charmé les émirs de Tolède,
Quand au sein de leur parc ils prenaient le soleil :
S’il ne chante pas bien, son âme n’est pas laide !
Dragon subtil
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Le cosmos en pièges abonde,
Je sais en démêler les fils ;
Car je suis le Dragon Subtil
De ces lieux et de l’inframonde.
Je parle et des voix me répondent
Qui m’avertissent des périls ;
Mes ennemis, nobles ou vils,
Iront dans la fosse profonde.
Je suis fort, ce n’est pas étrange,
Car j’ai des ailes, comme un ange ;
Je vaux mieux que tous mes pareils.
Si ma propre cause je plaide,
C’est que j’en reçus le conseil ;
Une muse vint à mon aide.