Aux vêpres
Par les après-midi d’hiver mélancoliques
Je vais parfois dans les vieux temples catholiques,
Quand c’est un jour de fête et qu’ils sont bien ornés,
Quand les prêtres au fond des nefs sont prosternés
Sous le jaunâtre éclat des lampes et des cierges,
Et qu’on a mis leurs beaux manteaux aux saintes Vierges
Dont le profil sourit dans un cadre de fleurs.Je vais alors, en proie à mes vagues douleurs,
M’agenouiller parmi la foule qui contemple
Le ciboire étoilé qui plane sur le temple.
Les enfants près de moi sont couchés sur des bancs,
Et les femmes du peuple, en bonnets à rubans,
Tiennent leur chapelet dans leurs mains à mitaines
Et les dames du monde élégantes, hautaines,
Par un vague respect des usages anciens
Appuient sur leurs manchons de petits Paroissiens
Qu’elles lisent tous bas à travers leurs voilettes.Les haillons sont ainsi près des riches toilettes,
Comme un symbole grave à la fois et charmant
Du destin qui nous fait petits également
Sous la voûte profonde et vaste de l’église
Où Dieu nous entend tous et tous nous égalise !…Seul, je me cache à l’ombre obscure d’un pilier
Et la main sur les yeux je tâche d’oublier
Le monde dont le bruit grouille au loin dans la rue.
Je songe, et je reprends la route parcourue
Depuis ma sainte enfance et mes jeux primitifs.
Il fait bon : l’orgue chante avec des sons plaintifs
Que rythment sourdement quelques voix enfantines ;
L’autel tressaille au bruit des cloches argentines ;
L’encens remplit le chœur de ses subtils parfums,
Et le long des parois les évêques défunts
Auxquels le marbre donne une ferme attitude
Peuplent de spectres blancs la noire solitude.Je rêve au temps lointain quand, simple et doux d’esprit,
Ma mère, en me couchant sur ses genoux, m’apprit
A tenir pour prier mes petites mains jointes ;
Quand plein d’un tendre émoi je marchais sur les pointes
De mes pieds vers la place où je devais m’asseoir,
Et que mon cœur d’enfant comme un chaste encensoir
S’exhalait dans l’église étroite où rien ne bouge
Les jours que je servais la messe en robe rouge !…Et tandis que je pleure après avoir rêvé,
L’office, à mon insu, déjà s’est achevé ;
Il fait tout noir ; mais dans les vitraux brille encore
Un rayon de soleil couchant qui les décore
Et les fait resplendir quand tout s’est obscurci ;
Et je me dis alors que dans mon cœur aussi,
Qui n’a plus ses élans et sa ferveur première,
Dieu pourtant glisse encor son rayon de lumière.
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Georges RODENBACH
Georges Rodenbach (né le 16 juillet 1855 à Tournai et mort le 25 décembre 1898 à Paris) était un poète symboliste et un romancier belge de la fin du XIXe siècle. Issu d’une famille bourgeoise d’origine allemande – son père, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, est vérificateur des poids et mesures ;... [Lire la suite]
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