Au temps que la feille blesme…
Au temps que la feille blesme
Pourrist languissante à bas,
J’allois esgarant mes pas
Pensif, honteux de moy mesme,
Pressant du pois de mon chef
Mon menton sur ma poitrine,
Comme abatu de ruine
Ou d’un horrible meschef.Après, je haussois ma veuë,
Voiant, ce qui me deplaist,
Gemir la triste forest
Qui languissoit toute nuë,
Veufve de tant de beautez
Que les venteuses tempestes
Briserent depuis les festes
Jusqu’aux piedz acraventez.Où sont ces chesnes superbes,
Ces grands cedres hault montez
Quy pourrissent leurs beautez
Parmy les petites herbes ?
Où est ce riche ornement,
Où sont ces espais ombrages
Qui n’ont sçeu porter les rages
D’un automne seulement ?Ce n’est pas la rude escorce
Qui tient les trons verdissans :
Les meilleurs, non plus puissans,
Ont plus de vie et de force,
Tesmoin le chaste laurier
Qui seul en ce temps verdoie
Et n’a pas esté la proie
D’un yver fascheux et fier.Quant aussi je considere
Un jardin veuf de ses fleurs,
Où sont ses belles couleurs
Qui y florissoient naguere,
Où si bien estoient choisis
Les bouquets de fleurs my escloses,
Où sont ses vermeilles rozes
Et ses oillets cramoisis ?J’ai bien veu qu’aux fleurs nouvelles,
Quant la rose ouvre son sein,
Le barbot le plus villain
Ne ronge que les plus belles :
N’ay je pas veu les teins vers,
La fleur de meilleure eslitte,
Le lys et la margueritte,
Se ronger de mille vers ?Mais du myrthe verd la feuille
Vit tousjours et ne luy chault
De vent, de froit, ny de chault,
De ver barbot, ny abeille
Tousjours on le peut cuillir
Au printemps de sa jeunesse,
Ou quant l’yver qui le laisse
Fait les autres envieillir.Entre un milion de perles
Dont les carquans sont bornez
Et dont les chefz sont ornez
De nos nimphes les plus belles,
Une seulle j’ai trouvé
Qui n’a tache, ne jaunisse,
Ne obscurité, ne vice,
Ni un gendarme engravé.J’ay veu parmi nostre France
Mille fontaines d’argent,
Où les nimphes vont nageant
Et y font leur demourance ;
Mille chatouilleux zephirs
De mille plis les font rire :
Là on trompe son martire
D’un milion de plaisirs.Mais un aspit y barbouille,
Ou le boire y est fiebvreux,
Ou le crapault venimeux
Y vit avecq’ la grenoille.
Ô mal assise beauté !
Beauté comme mise en vente,
Quand chascun qui se presente
Y peut estre contenté !J’ay veu la claire fontaine
Où ces vices ne sont pas,
Et qui en riant en bas
Les clairs diamens fontaine :
Le moucheron seulement
Jamais n’a peu boire en elle,
Aussi sa gloire immortelle
Florist immortellement.J’ai veu tant de fortes villes
Dont les clochers orguilleux
Percent la nuë et les cieux
De piramides subtiles,
La terreur de l’univers,
Braves de gendarmerie,
Superbes d’artillerie,
Furieuses en boulevers :Mais deux ou trois fois la fouldre
Du canon des ennemis
A ses forteresses mis
Les piedz contremont en pouldre :
Trois fois le soldat vengeant
L’yre des Dieux alumée,
Horrible en sang, en fumée,
La foulla, la sacageant.Là n’a flory la justice,
Là le meurtre ensanglanté
Et la rouge cruauté
Ont heu le nom de justice,
Là on a brisé les droitz,
Et la rage envenimée
De la populace armée
A mis soubz les pieds les loix.Mais toy, cité bien heureuse
Dont le palais favory
A la justice cheri,
Tu regne victorieuse :
Par toy ceux là sont domtez
Qui en l’impudique guerre
Ont tant prosterné à terre
De renoms et de beautez.Tu vains la gloire de gloire,
Les plus grandes de pouvoir,
Les plus doctes de savoir,
Et les vaincueurs de victoire,
Les plus belles de beauté,
La liberté par la crainte,
L’amour par l’amitié sainte,
Par ton nom l’eternité.
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Théodore Agrippa d’Aubigné, né le 8 février 1552 au château de Saint-Maury près de Pons, en Saintonge, et mort le 9 mai 1630 à Genève, est un écrivain et poète baroque français protestant. Il fut aussi l’un des favoris d’Henri IV, du moins jusqu’à la conversion de celui-ci. Théodore décide alors de rédiger la plus grande... [Lire la suite]
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Trollville
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Ici vivent des trolls blêmes ;
Leur moral est toujours bas.
Ils s’en vont à petits pas,
Comme pour se fuir eux-mêmes.
C’est de mépris pour leur chef
Que s’anime leur poitrine,
C’est en amateurs de ruines
Qu’ils consument leurs jours brefs.
Dès qu’ils sont hors de ma vue,
Le jour, à nouveau, me plaît,
Et la ville,et la forêt,
Et les sylphes, dans les nues.
Chanson-fable
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Vert-Paresseux Groventre
Et Démon Grandegueule
Voulaient montrer leur science
À Dame Jambefine.
Sous les feuilles d’un arbre
Ils se sont abrités,
Sur la plus haute branche
Brillait la Connaissance.
Groventre et Grandegueule
Ils se sont élevés,
La frêle Jambefine
Sur le sol est restée.
La douce Jambefine
Disait en suppliant :
« Vous qui êtes mes frères,
Lancez-moi quelques fruits. »
Groventre sarcastique
Disait à Jambefine :
« Voici des épluchures
De métaconnaissance. »
Groventre a pas fait gaffe,
La branche le traverse ;
Son lourd bedon explose,
Son frère en meurt de rire.
Jambefine en courant
Va le dire aux parents,
Mais son pied reste pris
Dans un trou de souris.