Au Démon secret
Le peuple, sans perplexité, vénère. Il encense, invoque ou répudie. Il donne trois, ou six ou neuf prosternements. Il mesure son respect à la compétence, aux attributs, aux grâces qu’il escompte juste.
Car il sait précisément les goûts du génie de l’âtre ; les dix-huit noms du singe qui donne la pluie ; la cuisson de l’or comestible et du bonheur.
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De quelles cérémonies l’honorer ce démon que je loge en moi, qui m’entoure et me pénètre ? De quelles cérémonies bienfaisantes ou maléfiques ?
Vais-je agiter mes manches en respect ou brûler des odeurs infectes pour qu’il fuie ?
De quels mots d’injures ou glorieux le traiter dans ma vénération quotidienne : est-il le Conseiller, le Devin, le Persécuteur, le Mauvais ?
Ou bien Père et grand Ami fidèle ?
o
J’ai tenté tout cela et il demeure, le même en sa diversité,
Puisqu’il le faut, ô Sans-figure, ne t’en va point de moi que tu habites :
Puisque je n’ai pu te chasser ni te haïr, reçois mes honneurs secrets.
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Victor SEGALEN
Victor Segalen, né à Brest le 14 janvier 1878, mort le 21 mai 1919 à Huelgoat, est un poète, et aussi médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Après des études de médecine à l’École du service de santé des armées de Bordeaux, Victor Segalen est affecté en Polynésie française. Il n’aime pas la... [Lire la suite]
Démon farceur
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Un démon gris surgit du noir enfer central
Dans le seul but de faire aux jardiniers des blagues.
Il noie le potager sous une immense vague,
Puis il dort au verger, improbable animal
Plus paresseux qu'un chat, incapable de mordre
Mais pouvant nous donner bien du fil à retordre.
Un seul homme parvient à nous l'exorciser :
Un vieux reclus qui a le look de Pierre Dac
Et qui verse au démon un litre de cognac.
Ne pourrait-on, d'ailleurs, un jour te baptiser,
Démon sans nom qui viens polluer nos cultures ?
« Non, répond-il : j'ai point le goût de l'aventure » .
Pyramide des jardiniers
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Pyramide occupant le terre-plein central,
Le reste du jardin évoque un terrain vague.
Près d'un vieux marronnier que jamais l'on n'élague,
Elle offre à nos regards ses reflets de métal.
Les moines jardiniers y montent en bon ordre,
Avec de beaux rameaux fraîchement baptisés
Qui servent pour bénir, et pour exorciser,
Tendre feuillage auquel un démon ne peut mordre.
Les plants les plus nouveaux grandissent dans un bac,
Chéris des cénobites et de Dame Nature ;
Faire naître un jardin, c'est toute une aventure,
Ça mérite, le soir, un verre d'armagnac.
Dans une pyramide
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Obscur est le couloir central,
Sauf quelques lueurs hésitantes ;
Quelques chauves-souris mutantes
Peuplent cet endroit sépulcral.
Tâchons de garder le moral,
Car c’est une chose importante ;
Celui que la désertion tente
Dessert l’intérêt général.
Ceux qui croiseront un démon
Lui adresseront un sermon ;
Cela, pour qu’il se convertisse.
Ceux qui rencontreront la Mort
Devront s’endormir, sans remords,
Ce n’est que Divine Justice.