Antigone
L’Homme, puni des dieux parce qu’il a trouvé,
Pareil en sa misère à l’époux de Jocaste,
Marche de siècle en siècle et, las du ciel néfaste,
Demande chaque soir s’il n’est pas arrivé.Mais, guidant son bâton qui se heurte aux pavés,
Sa fille près de lui glisse, voilée et chaste,
Et, fidèle, accompagne, ainsi qu’un pur constraste,
L’antique désespoir dont les yeux sont crevés.Par les villes de pierre et par les longs faubourgs
Ils vont ; tendant la main, le soir, aux carrefours,
La vierge aux cils blonds chante, et demande l’aumône ;Et rien n’est plus sacré que le vieux roi sans yeux,
Qui vient à nous du fond des temps mystérieux,
Dont l’âme peut souffrir encore et s’en étonne,Et que soutient toujours la divine Antigone.
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Albert SAMAIN
Albert Samain, né à Lille le 3 avril 1858, mort à Magny-les-Hameaux le 18 août 1900, est un poète symboliste français. Son père étant décédé alors qu’il n’avait que 14 ans, il dut interrompre ses études pour gagner sa vie et devint employé de commerce. Vers 1880, il fut envoyé à Paris, où il décida de rester.... [Lire la suite]
Très vieux livres
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Très antiques bouquins, par grand hasard trouvés,
Du fait que ce jour-là pour la chose était faste,
Vous rejoindrez bientôt l’enchevêtrement vaste
Des volumes formant un grand tas de pavés.
Vous ouvrirez les cieux à mon coeur entravé,
Lui montrant des amours impudiques ou chastes,
Des fondeurs de vitraux et des iconoclastes,
Des nefs ayant en mer longuement dérivé.
Vous narrerez aussi les drames des faubourgs,
Les rhapsodes chantant au coin d’un carrefour
Et l’infortune, aussi, de la grande licorne ;
Quoi de plus familier que ce plaisir des yeux ?
C’est un festin, pourtant, qui comblerait les dieux :
C’est le sort des humains, l’aventure sans bornes.
Ambicrabier
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Il cherche tout le jour, sans jamais rien trouver,
Ces moments ne sont point parmi les heures fastes,
Les crabes sont cachés, le marécage est vaste,
Ils ne sont pas en vue, ils sont sous les pavés.
Cependant, par la faim, il n’est pas entravé,
Il endure son sort, car il est sobre et chaste;
Jamais un échassier ne fut iconoclaste,
Et jamais on ne vit sa vertu dériver.
Vous ne le verrez pas quémander aux faubourgs
Ni vanter son mérite au coin d’un carrefour,
Car son coeur est plus pur que celui des licornes.
Créateur, pourra-t-il trouver grâce à vos yeux ?
Cet oiseau fait confiance au jugement des dieux,
Innocence bénie, crédulité sans bornes.
Bouteille à l’amer
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Perdue en ce courant, tu ne la peux trouver,
Elle qui ne contient nul message néfaste ;
Le courant n’est pas vif, les océans sont vastes,
Cet objet fait le tour des récifs délavés.
Cette course sans fin, rien ne vient l’entraver,
Non pas même un regard de la sirène chaste ;
Le verre est à l’abri du crabe iconoclaste,
Cette épave n’est point lassée de dériver.
Ce flacon ne contient nul élixir d’amour,
Et ne transporte pas les mots d’un troubadour ;
Tu n’y trouveras point de poudre de licorne.
Or, j’aime cet esquif qui danse sous mes yeux,
Peut-être bien aussi qu’il fait rire les dieux ;
Aussi, je lui envie son errance sans bornes.