Angéline
Remember me. — Oh ! pass not thou my grave
Without one thought whose relicts there recline.
L. BYRON. The Corsaire.Oui, je sens que de moi tout amour se retire,
Et que les sons d’amour ont épuise ma lyre ;
Adieu de mes ennuis le séduisant poison.
Si jamais cependant, dans ma jeune saison,
J’ai des secrets du cœur coloré quelque image ;
Et vers la muse antique adressé quelque hommage,
Muse de cet aveugle aux chants dignes du Ciel,
Dans ma ruche déserte apporte un peu de miel ;
Qu’un sourire, entr’ouvrant ma lèvre toujours close,
Ressemble à ces baisers que le matin dépose
Sur des prés que fleurit leur fertile secours.
Dis-moi, vers les coteaux où transfuge des cours,
Des sources de Lutèce on voit l’humide reine
De ses flottans replis environner Surène,
Pourquoi d’un jeune enfant fut conduit le berceau ?
Un long mal de ses jours menaçait le flambeau ;
Mais le soleil avait, sur les côtes vineuses,
Doré moins de sept fois les treilles sablonneuses,
Que cet enfant périt, comme un lis exilé
Qu’a coupé la faucille en moissonnant le blé ;
Ou bien comme une grappe avant le temps cueillie,
Et presque verte encor par le pressoir meurtrie :
Son astre à l’horizon ne brilla qu’un moment ;
Forcé de vivre, heureux d’achever promptement,
Heureux qui peut ainsi, sans traverser nos peines,
Avoir de l’Océan les rives si prochaines ;
Et d’un cours si rapide au terme parvenu,
S’endormir innocent à soi-même inconnu.
Cependant l’on s’afflige en voyant disparaître
Un être bien aimé, qui nous attend peut-être.
Angéline n’est plus. Ses parens désormais
Vieilliront dans l’ennui qu’amènent les regrets ;
Sur le bord du tombeau qu’entr’ouvre la vieillesse,
Ils n’auront plus d’enfans dont la jeune tendresse
Pour en cacher l’entrée y jette quelques fleurs.
Ils pleurent, et voudraient qu’on partageât leurs pleurs.
Aussi, par eux fondée, une fête pieuse
Prolonge encor les jours, dont la mort envieuse
Leur enleva trop tôt le céleste secours.
Au penchant des coteaux où transfuge des cours,
Des sources de Lutèce on voit l’humide reine,
De ses flottans replis environner Surène :
D’Angéline expirée on sait le souvenir,
Et peut-être son nom vivra dans l’avenir.
Quand les champs moissonnés ont enrichi les fermes,
Et que la terre prête attend de nouveaux germes,
Quand l’été qui commence à nous voiler ses traits
D’un soleil moins ardent échauffe tes guérêts,
Le prêtre dont la main de l’erreur nous rappelle,
Et nous ouvre les cieux du fond de sa chapelle,
Le roi du presbytère y convoque avec choix
Les vieillards dont le temps fait estimer la voix.
Il s’agit d’une fleur dont la simple parure
Des filles du hameau doit orner la plus pure ;
Mais du concile agreste on voit souvent la cour
Sans y rien décider discuter plus d’un jour.
Tel on voyait Platon et les fils d’Acadème,
Du degré des vertus méditant le problème,
Regretter quelquefois de ne pouvoir juger,
Ou que le premier rang ne pût se partager.
Après de longs débats enfin l’on se sépare ;
Le choix est fait : la fête se prépare,
Et la jeune beauté promise à tant d’honneur
Ne peut, pendant long-temps, dormir de son bonheur.
Le jour est arrivé. Le long de la colline,
Le cortège descend au tombeau d’Angéline.
Là croît un églantier toujours chargé de fleurs :
De ceux qui l’ont planté c’est peut-être les pleurs.
C’est lui qui pour couronne à la vierge pudique
Offre de ses bouquets la blancheur symbolique.
Un ruban noir l’attache à son front virginal ;
Comme si du bonheur annonçant le signal,
La mort devait partout se mêler à nos fêtes,
Et nous tresser les fleurs dont se parent nos têtes.
La mort tient dans la vie un côté du tableau ;
Près d’un riant aspect est celui d’un tombeau,
Souvent sous les cyprès de la mélancolie
Brille la primevère ou la blanche ancolie ;
Et la rose souvent honneur de nos jardins,
Qui couronnait jadis la coupe des festins
Où s’enivraient Horace et l’amour de Tibulle,
La rose du frélon fut souvent la cellule ;
Et du jeune amandier qui près de l’eau fleurit,
On voit tomber les fleurs dans l’eau qui les nourrit.
Quand le front de la vierge a reçu la couronne
Dont celui de ses sœurs en espoir s’environne,
Le pasteur la guidant au pied des saints autels,
Prépare de l’hymen les rites solennels.
La jeune enfant alors, sans lever ses paupières,
Commence pour son Dieu de nouvelles prières :
Et devant son image abaissant les genoux,
D’un mot qu’elle entend seule, appelle un jeune époux ;
Et le prêtre leur dit : « J’unis vos jeunes âmes,
« L’hymen sait de l’amour sanctifier lès flammes ;
« Aimez-vous et vivez : souvenez-vous toujours
« Que la seule vertu peut donner d’heureux jours,
« Suivez-la. Toi, ma fille, aujourd’hui jeune épouse,
« Souviens-toi, quand le temps d’une haleine jalouse,
« Aura terni la fleur dont ton voile est paré ;
« Qu’elle n’est de vertus le symbole sacré
« Qu’un seul jour, un moment, celui qui la voit naître,
« Et le Ciel vêtit par-là nous apprendre peut-être,
« Qu’il faut de ses vertus soigner la pureté
« Autant que leur image a de fragilité.
« Soyez unis, jamais la main de l’indigence
« Ne pourra de vos cœurs rompre l’intelligence ;
« J’ai des présens pieux que je vous remettrai,
« Vous aurez des enfans et je les bénirai,
« Je bénirai les noms que choisira leur mère.
« Voici le premier choix que son amour doit faire :
« Ceux qui de votre hymen ont préparé les nœuds,
« Ont vu leur seul enfant, échappant à leurs vœux,
« S’arrêter pour toujours au pied de la colline.
« Vous savez quelle tombe est celle d’Angéline,
« Jurez que si du Ciel la première faveur
« Vous accorde une fille : ils ont perdu la leur !
« De ce nom d’Angéline elle aura l’héritage ;
« Et si de votre amour un fils était le gage,
« Que sa langue, en naissant se forme à répéter
« Le nom qu’aurait sa sœur, et qu’il ne peut porter. »
Ainsi dit le pontife, et la fête s’achève.
L’espoir de ses auteurs n’a pas fui comme un rêve ;
Et le nom d’un enfant toujours plus respecté,
Ira dans son village à la postérité.
En essayant mes chants, moi qui voulais sourire,
A de tristes accords j’ai ramené ma lyre.
D’où vient que le bonheur ne me visite pas ?
Mes ennuis oubliés n’assiègent plus mes pas ;
Et pourtant sur mon front le chagrin se replace :
Du Ciel qui s’apaisait est-ce quelque menace ?
Je ne sais, mais je sens s’agiter dans mon cœur,
Comme un ver inconnu qui ronge sa vigueur.
O Dieu ! si vous frappez, ne frappez que moi-même ;
Je suis novice aux maux des personnes que j’aime,
Le pays du malheur ne leur est pas connu,
Et moi, vous le savez, j’y suis déjà venu.Passy, le 25 août 1819.
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Jules Lefèvre-Deumier, né le 14 juin 1797 à Paris où il est mort le 11 décembre 1857, est un écrivain et poète français. Son vrai nom était Lefèvre, auquel il ajouta Deumier en hommage à une tante qui lui avait légué sa fortune, assez considérable. Profondément romantique, ses modèles étaient André Chénier et Byron.... [Lire la suite]
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