Poème 'À une pièce d’or' de François COPPÉE dans 'Les Paroles sincères'

À une pièce d’or

François COPPÉE
Recueil : "Les Paroles sincères"

D’une somme hier dissipée
Il me reste une pièce encor.
Elle est brillante et bien frappée :
C’est un vieux napoléon d’or.

Pris d’une tristesse soudaine,
Je vois luire, au creux de ma main,
Le front lauré du capitaine
Et son fier visage romain.

Je deviens pensif et je songe,
O fragment des pesants lingots,
Que c’est ton éternel mensonge
Qui fait les hommes inégaux.

Car, si la haine entre eux persiste,
C’est par ton attrait spécieux ;
Car tu rends le riche égoïste,
Car tu rends le pauvre envieux ;

Car le talent d’or et l’obole
Font seuls les petits et les grands.
Sur leur métal, comme un symbole,
Sont gravés les traits des tyrans.

Même le lourd billon de Sparte
S’orne d’un profil belliqueux.
César et le grand Bonaparte
Brillent sur l’or plus puissant qu’eux.

Il est bien le pouvoir suprême.
L’Iscariote, aux Oliviers,
Sûr d’avoir vendu Dieu lui-même,
Fait tinter ses trente deniers !…

Pièce d’or, reine des monnaies,
Que tant de mains voudraient saisir,
Rien pourtant de ce que tu paies
Ne vaut la peine d’un désir.

Tu donnes la volupté brève.
Mais quel trésor, quel million
Paierait la douceur d’un beau rêve,
D’une suave illusion ?

Crésus passe l’hiver à Nice,
Court les eaux thermales l’été.
Mais perd-il son teint de jaunisse ?
On n’achète pas la santé.

Ce$ mets exquis qu’un gourmand touche
En brouet noir se convertit ;
Un goût de cendre est dans sa bouche :
On n’achète pas l’appétit.

Juif, cette esclave est la plus belle.
Montre-la-moi, nue en plein jour…
Mais le libertin n’obtient d’elle
Que ta grimace, ô noble amour !

Vois ce lâche au cœur plein de rage,
Ce difforme au front attristé…
Tient-on boutique de courage ?
Est-il un marchand de beauté ?

Pour tout l’or de Californie
Nul n’acquiert le laurier fatal,
Planant sur l’homme de génie
Qui meurt, obscur, à l’hôpital ;

Et les sacs d’écus qu’on entasse
Ne sauraient payer les vingt ans
Du joyeux vagabond qui passe,
Une fleurette entre les dents !

Malgré vos duretés, ô riches,
Je me sens pour vous indulgent,
Quand je songe aux bonheurs postiches
Qu’on vous donne pour votre argent.

On étouffe au théâtre, on crève.
La Patti va donner le sol…
Dans le bois où la lune rêve,
J’écoute un divin rossignol.

Payez très cher la courbature,
La gastrite et ce qui s’ensuit…
Elle est à vil prix, la nature ;
Le soleil couchant est gratuit.

Pièce d’or aux doigts du poète,
Je sens, quand j’y réfléchis bien,
Que pour moi tu n’étais pas faite.
Ce que j’aime ne coûte rien.

En vain, médaille solitaire,
Tu dardes ton fauve reflet.
Plus mon regard te considère
Et plus ta splendeur me déplaît.

O vieux napoléon ! je pense
Que rarement tu fus donné
Comme une juste récompense,
Comme un salaire bien gagné.

Je distingue, avec un malaise,
Ton millésime et ton poinçon.
Pièce d’or de mil huit cent treize,
As-tu payé la trahison ?

L’Empereur courait aux défaites.
Pour toi, l’un de ses généraux
A-t-il, Judas en épaulettes,
Vendu la France et son héros ?

Oui, c’est ton début dans le monde ;
Et, depuis lors, certainement,
Tu payas plus d’un acte immonde
Et plus d’un travail infamant.

Aveugle, le pied sur sa roue,
La Fortune t’a dû lancer
A tout hasard, et dans la boue
Les drôles t’allaient ramasser.

Tu fus parfois de sang tachée ;
Tu roulas sur les tapis verts ;
L’avare avec soin t’a cachée,
Dans les plus rigoureux hivers.

Souvent tu fus mise, discrète,
Par un vieillard aux yeux luisants,
Dans la main de la proxénète
Dévoilant un sein de quinze ans ;

Et, dans ta froide indifférence,
Tu payais, sans t’en émouvoir,
Le matin, quelque conscience,
Et quelque débauche, le soir.

Mais, malgré ta honte et tes crimes,
Je me l’avoue avec effroi,
Pour ses appétits légitimes
Un poète a besoin de toi !…

Oh ! le temps lointain, l’âge antique,
Où l’aède mélodieux,
Pour gagner son repas rustique,
Chantait les héros et les dieux !

O barbarie hospitalière !
Il entrait, jamais étranger,
La lyre au dos, blanc de poussière,
Sous le chaume heureux du berger,

Et s’asseyait dans la famille
Qui contemplait son front rêveur,
Tandis que la plus jeune fille
Lavait les pieds du voyageur !…

Mais quel regret en moi s’allume ?
Je méconnais l’esprit nouveau.
Poète, tu vis de ta plume.
L’indépendance, c’est très beau.

Vends-nous ta joie ou ta détresse,
Tes doux rêves, tes pleurs navrants ;
Surtout décris-nous ta maîtresse.
Il nous en faut pour nos trois francs.

Jette, pour solder la taverne,
Ton cœur sanglant sur le chemin ;
Et la société moderne
Mettra ce louis dans ta main.

Comprends quelle erreur est la tienne.
Un César, esprit juste et sûr,
L’a fort bien dit : « L’or, d’où qu’il vienne,
Sent toujours bon, est toujours pur. »

Eh bien, non ! mon dégoût proteste.
Et toi, métal si respecté,
Ce que je hais plus que le reste,
C’est ta menteuse pureté.

Sang du meurtre ou vin de l’orgie,
Rien n’a pu jamais te souiller.
Je vois briller ton effigie
Comme au sortir du balancier.

Hélas ! en toi, pièce maudite,
Je reconnais avec horreur
Cet air d’innocence hypocrite
D’un siècle qui t’a dans le cœur !…

Mais, tandis que je t’examine
Et te demande ton secret,
Un pauvre, œil creux et triste mine,
Au seuil de ma porte apparaît.

Il me tend la main, je la serre
En y laissant mon humble don…
Tu peux soulager la misère,
Pièce d’or, et c’est ton pardon !

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