A Philis. Ode
Aussi franc d’amour que d’envie
Je vivais loin de vos beautés
Dans les plus douces libertés
Que la raison donne à la vie.
Mais les regards impérieux
Qu’Amour tire de vos beaux yeux
M’ont bien fait changer de nature.
Ah ! que les violents désirs
Que me donna cette aventure
Furent traîtres à mes plaisirs !Le doux éclat de ce visage
Qui paraissait sans cruautés,
Et des ruses d’une beauté
Me semblait ignorer l’usage,
Me surprit d’un si doux malheur,
Et m’affligea d’une douleur
Si plaisante à ma frénésie,
Que dès lors j’aimai ma prison
Et délivrai ma fantaisie
De l’empire de ma raison.Contre ce coup inévitable
Qui me mit l’amour dans le sein,
Je ne sais prendre aucun dessein
Ni facile ni profitable.
Embrasé d’un feu qui me suit
Partout où le Soleil me luit,
Je passe les monts Pyrénées
Où les neiges, que l’œil du jour
Et les foudres ont épargnées,
Fondent au feu de mon amour.Sur ces rivages où Neptune
Fait tant d’écume et tant de bruit,
Et souvent d’un vaisseau détruit
Fait sacrifice à la Fortune,
J’invoque les ondes et l’air ;
Mais au lieu de me consoler
Les flots grondent à mon martyre,
Mes soupirs vont avec le vent,
Et mon pauvre esprit se retire
Aussi triste qu’auparavant.Mes langueurs, mes douces furies !
Quel sort, quel Dieu, quel élément,
Nous ôtera l’aveuglement
De vos charmantes rêveries ?
La froide horreur de ces forêts,
L’humidité de ces marêts,
Cette effroyable solitude
Dont le Soleil avec des pleurs
Provoque en vain l’ingratitude,
Que font-elles à mes douleurs ?Grands déserts, sablons infertiles,
Où rien que moi n’ose venir,
Combien me devez-vous tenir
Dans ces campagnes inutiles ?
Chauds regards, amoureux baisers,
Que vous êtes dans ces déserts
Bien sensibles à ma mémoire !
Philis, que ce bonheur m’est doux !
Et que je trouve de la gloire
À me ressouvenir de vous !Enfin je crois que la tempête
Me permettra d’ouvrir les yeux
Et que l’inimitié des cieux
Me laissera lever la tête.
Après tous ces maux achevés,
Les faveurs que vous réservez
À ma longue persévérance,
Reprocheront à mon ennui
D’avoir cru que mon espérance
Me quitterait plus tôt que lui.Au retour de ce long voyage,
La terre en faveur de Philis
D’œillets, de roses et de lys
Sèmera par tout mon passage.
Ces grands pins, devenus plus beaux,
Joignant du faîte les flambeaux
Dont la voûte du ciel se pare,
Iront aux astres s’enquérir
Si quelque autre bien s’accompare
À celui que je vais quérir.Ce jour sera filé de soie,
Le Soleil, partout où j’irai,
Laissera, quand je passerai,
Des ombrages dessus ma voie.
Les dieux, à mon sort complaisants,
Me combleront de leurs présents ;
J’aurai tout mon soûl d’ambroisie ;
Les déesses me viendront voir,
Au moins si votre courtoisie
Leur veut permettre ce devoir.Cette triste nuit achevée,
Mon amour quittera le deuil
Si les ténèbres du cercueil
Ne préviennent mon arrivée.
À l’aise du premier abord,
Lorsque tous nos destins d’accord
Permettront que je vous revoie,
Si je n’ai pour me secourir
Des remèdes contre ma joie,
Je dois bien craindre de mourir.Je sais qu’à la faveur première
Que vos regards me jetteront,
Mes esprits ravis quitteront
Le doux objet de la lumière.
C’est tout un, j’aime bien mon sort :
Car les cruautés de la mort
N’ont point de si cruelle gêne
Que des rois ne voulussent bien
Se trouver en la même peine
Pour un même honneur que le mien.
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Théophile de VIAU
Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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