A Pamphile Lemay
Poète, on t’applaudit! poète on te couronne!
Le laurier du vainqueur sur ta tête rayonne;
Le passant jette à flots des fleurs sur ton chemin;
Au tournoi de la lyre on t’a cédé l’arène;
Ta muse à ses rivaux sourit en souveraine :
Et je ne suis plus là pour te serrer la main!Pourtant, naguère encor, suivant la même étoile,
Nous n’avions qu’une nef, nous n’avions qu’une voile;
Nos luths comme nos coeurs vibraient à l’unisson.
Poètes de vingt ans, c’étaient luttes sans trève :
C’était à qui de nous ferait le plus beau rêve,
C’était à qui ferait la plus belle chanson.Nous rêvions, nous chantions, – c’était là notre vie.
Et, rivaux fraternels, sans fiel et sans envie,
A la muse des vers nous faisions notre cour.
Tu charmais les zéphyrs, je narguais la bourrasque;
Et nous voguions tous deux, toi songeur, moi fantasque,
L’âme ivre de printemps, de soleil et d’amour.
Nos soirs étaient sereins, nos matins étaient roses,
Tout était calme et pur; nuls nuages moroses
N’estompaient l’horizon – ô présage moqueur!
J’aimais… et je croyais à l’amitié fidèle;
Tout me parlait d’espoir, quand le sort, d’un coup d’aile,
Brisa mes rêves d’or, ma boussole et mon coeur!L’orage m’emporta loin de la blonde rive
Où ton esquif flottait toujours à la dérive,
Bercé par des flots bleus pleins d’ombrages mouvants.
Et depuis, ballotté par la mer écumante,
Hochet de l’ouragan, jouet de la tourmente,
J’erre de vague en vague à la merci des vents.Oui, je suis loin, ami! mais parfois les rafales
M’apportent des lambeaux de clameurs triomphales;
Et j’écoute, orgueilleux, ton nom que l’on redit…
Alors je me demande, en secret, dans mon âme,
Si tu songes parfois, quand la foule t’acclame,
A celui qui jadis tant de fois t’applaudit.
Chicago, octobre 1869.
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Louis-Honoré FRÉCHETTE
Louis-Honoré Fréchette (16 novembre 1839 – 31 mai 1908), poète, dramaturge, écrivain et homme politique, est né à St-Joseph-de-la-Pointe-Lévy (Lévis), Québec, Canada. Bien que son père, entrepreneur, soit analphabète, il étudie sous la tutelle des Frères des écoles chrétiennes. De 1854 à 1860, il fait ses études... [Lire la suite]
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