À mon côtre Le Négrier
Vendu sur l’air de : Adieu, mon beau Navire !…
Allons file, mon cotre !
Adieu mon Négrier.
Va, file aux mains d’un autre
Qui pourra te noyer…Nous n’irons plus sur la vague lascive
Nous gîter en fringuant !
Plus nous n’irons à la molle dérive
Nous rouler en rêvant…– Adieu, rouleur de cotre,
Roule mon Négrier,
Sous les pieds plats de l’autre
Que tu pourras noyer.Va ! nous n’irons plus rouler notre bosse…
Tu cascadais fourbu ;
Les coups de mer arrosaient notre noce,
Dis : en avons-nous bu !…– Et va, noceur de cotre !
Noce, mon Négrier !
Que sur ton pont se vautre
Un noceur perruquier.… Et, tous les crins au vent, nos chaloupeuses !
Ces vierges à sabords !
Te patinant dans nos courses mousseuses !…
Ah ! c’étaient les bons bords !…– Va, pourfendeur de lames,
Pourfendre, ô Négrier !
L’estomac à des dames
Qui paîront leur loyer.… Et sur le dos rapide de la houle,
Sur le roc au dos dur,
À toc de toile allait ta coque soûle…
– Mais toujours d’un œil sûr ! –– Va te soûler, mon cotre :
À crever ! Négrier.
Et montre bien à l’autre
Qu’on savait louvoyer.… Il faisait beau quand nous mettions en panne,
Vent-dedans vent-dessus ;
Comme on pêchait !… Va : je suis dans la panne
Où l’on ne pêche plus.– La mer jolie est belle
Et les brisans sont blancs…
Penché, trempe ton aile
Avec les goëlands !…Et cingle encor de ton fin mât-de-flèche,
Le ciel qui court au loin.
Va ! qu’en glissant, l’algue profonde lèche
Ton ventre de marsouin !– Va, sans moi, sans ton âme ;
Et saille de l’avant !…
Plus ne battras ma flamme
Qui chicanait le vent.Que la risée enfle encor ta Fortune
En bandant tes agrès !
– Moi : plus d’agrès, de lest, ni de fortune…
Ni de risée après !… Va-t’en, humant la brume
Sans moi, prendre le frais,
Sur la vague de plume…
Va – Moi j’ai trop de frais. –Légère encor est pour toi la rafale
Qui frisotte la mer !
Va… – Pour moi seul, rafalé, la rafale
Soulève un flot amer !…– Dans ton âme de cotre,
Pense à ton matelot
Quand, d’un bord ou de l’autre,
Remontera le flot…– Tu peux encor échouer ta carène
Sur l’humide varech ;
Mais moi j’échoue aux côtes de la gêne,
Faute de fond – à sec –Roscoff. – Août.
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Tristan CORBIERE
Édouard-Joachim Corbière, dit Tristan Corbière, né le 18 juillet 1845 au manoir de Coat-Congar à Morlaix (Finistère) et mort le 1er mars 1875 à Morlaix, est un poète français. Il est né de l’union d’Édouard Corbière et d’Angélique Aspasie Puyo que 33 ans séparent : à sa naissance, son père est âgé de... [Lire la suite]
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