Poème 'A Mathew Arnold' de Louis-Honoré FRÉCHETTE dans 'Feuilles volantes'

A Mathew Arnold

Louis-Honoré FRÉCHETTE
Recueil : "Feuilles volantes"

Lu au banquet offert au poète anglais
à Montréal, le 20 février 1885.

Plus rapide que n’est l’aile de la mouette
Au-dessus des gouffres amers,
Emportés par le vol de ta gloire, ô poète!
Tes chants ont traversé les mers.
Ils sont venus déjà, sur nos plages lointaines
Où la neige tombe à flocon,
Nous apporter, avec les doux parfums d’Athènes,
Comme un écho de l’Hélicon.
Ils sont venus souvent, troupe mélodieuse
D’oiseaux dorés du paradis,
Secouer sur nos fronts leur gamme radieuse;
Et nos mains les ont applaudis.
Car, dans ces fiers accents, chacun croyait entendre
La flûte du divin Bion,
Ou la lyre d’Olen mêler sa note tendre
À la fanfare d’Albion.
Aujourd’hui ce n’est plus ta muse charmeresse
Qui franchit l’océan houleux,
Pour verser un rayon du soleil de la Grèce
Sur nos rivages nébuleux.
C’est toi-même, poète à la vaste envergure,
Qui t’arrêtes sur ton chemin,
Pour nous faire admirer ta sereine figure
Et nous tendre ta noble main.

Ô toi qui, si longtemps, des sources d’Hippocrène
T’abreuvas au flot transparent,
Comme Chateaubriand et Moore, qui t’entraîne
Aux bords glacés du Saint-Laurent?

Qui dirige tes pas vers nos montagnes blanches,
Vers nos grands fleuves enrayés,
Vers nos bois sans oiseaux, et dont les avalanches
Tordent les rameaux dépouillés?

À nos traditions bretonnes et normandes
Viens-tu demander leurs secrets?
Ou réveiller l’essaim de farouches légendes
Qui dort au fond de nos forêts?

Croyais-tu, quand, vers nous, sur la vague féline,
Le vent du large t’apporta,
Voir surgir, à côté d’une autre Évangéline,
Quelque nouvel Hiawatha?

Oui, sans doute; et devant notre nature immense
Ton génie a déjà trouvé
Le récit merveilleux, la sublime romance,
Le poème longtemps rêvé.
Qu’au vent de nos hivers ta muse ouvre son aile!
Qu’elle entonne ses chants hautains!
Et répète aux échos, de sa voix solennelle,
Un hymne à nos futurs destins!

Qu’elle chante nos lacs, notre climat sauvage,
Nos torrents, nos monts sourcilleux,
Nos martyrs, nos grands noms, et l’héroïque page
Écrite ici par nos aïeux!

Oui, prête-nous ta muse, ô chantre d’Empédocle!
Et, chez nous – fils de l’avenir -
Les âges passeront sans ébranler du socle
Le bronze de ton souvenir.

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