À la dame si reine
À la dame si reine
est le cabaret où je suis attablé ce soir
parmi des tables vides et nues comme des tombeaux.
Les garçons ont fait grande toilette
Ils s’affairent autour des chaises sans occupants :
Dans leur costume de corbeaux
Ils ont l’air de célébrer le mariage de la solitude et de la nuit
et moi j’attends.
Parfois le téléphone résonne et nul ne va répondre
et peut-être est-elle au bout du fil, loin d’ici, à m’appeler
mais nul ne répond et je ne sais quelle force m’interdit d’aller
prendre l’appareil en mains et de dire :
« C’est moi, l’alcool brille dans les bouteilles
viens, viens vite,
nous boirons toute la nuit si tu le désires
Si tu veux dormir, tu dormiras dans mes bras
en attendant le matin de cristal et de drap mouillé
qui tombe comme une vague sur la ville. »Là-bas, la maison est vide
Je cours de chambre en chambre en appelant
Je pleure sur ton oreiller
Je sanglote en disant ton nom car nulle année passant après une autre année
ne pourra distraire ma pensée de ta pensée
mon désir de ton désir et ma bouche de ta bouche.Les draps se saliront sans être froissés
sur le lit où tu aimais dormir
et je crève d’être seul et d’appeler et d’imaginer
à quels outrages te soumettent
les larves immondes que le destin a dressées sur notre chemin.
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Robert DESNOS
Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l’Allemagne nazie. Autodidacte et rêvant de poésie, Robert Desnos est introduit vers 1920 dans les milieux littéraires modernistes et... [Lire la suite]
Porte des six reines
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De ce monde s'en vont six reines
Pour trouver la planche et le pont
Par où des espoirs elles ont
Pour devenir jeunes sirènes.
Mais trop hermétique est la porte,
Nulle d'elles ne peut l'ouvrir ;
Jamais ne pourront découvrir
L'endroit d'où les sirènes sortent.
Sainte Tavernière
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La dame qui ce comptoir abreuvait
Dans un sourire, elle était douce et belle
Et consolante, et loin d’être rebelle ;
Gentille fée qui nos prénoms savait.
Plus d’un buveur de ses charmes rêvait,
Ça l’exaltait, ça lui donnait des ailes ;
Il bénissait de louange immortelle
La longue nuit qui son coeur éprouvait.
Au premier rang nul ne pouvait prétendre,
Au dernier rang nul ne voulait descendre ;
Fier comme un coq chaque homme se montrait.
En la taverne étaient prises nos âmes,
Car nous étions vassaux de cette dame
Qui sagement nos conflits arbitrait.
Voir
https://paysdepoesie.wordpress.com/2021/09/05/sainte-taverniere/
Dame sans nom
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Prêtresse du dieu Désespoir,
Pour moi tous les jours sont les mêmes ;
Rien d’encourageant, rien d’extrême,
Nos prières sont sans pouvoir.
Amis, ne venez pas me voir,
Ne m’envoyez pas de poèmes ;
Je renonce à tout ce que j’aime,
Qui ne sut que me décevoir.
« Pas de prières, pas de fêtes,
Il suffit de savoir périr »;
Ainsi parle un sombre prophète.
Laisser vivre, laisser pourrir,
Cesser d’écouter les poètes ;
La vie on est sûrs d’en mourir.
Princesse errante
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Je suis mon chemin sous les cieux,
L’air est serein,la route est belle ;
Au lointain vole une hirondelle,
Distraite, je la suis des yeux.
Mon beau cheval est un peu vieux,
Mais c’est un compagnon fidèle ;
Lui qui jamais ne fut rebelle
Me sert toujours, et c’est tant mieux.
Je n’écris rien sur mes tablettes,
Pas même une brève odelette ;
Et moins encore, un long traité.
Je vis une vie sans surprises,
Mais qui n’en est pas moins exquise ;
C’est l’art de la simplicité.