A l’amour
Reprends de ce bouquet les trompeuses couleurs,
Ces lettres qui font mon supplice,
Ce portrait qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs.Je te rends ce trésor funeste,
Ce froid témoin de mon affreux ennui.
Ton souvenir brûlant, que je déteste,
Sera bientôt froid comme lui.Oh ! Reprends tout. Si ma main tremble encore,
C’est que j’ai cru te voir sous ces traits que j’abhorre.
Oui, j’ai cru rencontrer le regard d’un trompeur ;
Ce fantôme a troublé mon courage timide.Ciel ! On peut donc mourir à l’aspect d’un perfide,
Si son ombre fait tant de peur !
Comme ces feux errants dont le reflet égare,
La flamme de ses yeux a passé devant moi ;Je rougis d’oublier qu’enfin tout nous sépare ;
Mais je n’en rougis que pour toi.
Que mes froids sentiments s’expriment avec peine !
Amour… que je te hais de m’apprendre la haine !Eloigne-toi, reprends ces trompeuses couleurs,
Ces lettres, qui font mon supplice,
Ce portrait, qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs !Cache au moins ma colère au cruel qui t’envoie,
Dis que j’ai tout brisé, sans larmes, sans efforts ;
En lui peignant mes douloureux transports,
Tu lui donnerais trop de joie.Reprends aussi, reprends les écrits dangereux,
Où, cachant sous des fleurs son premier artifice,
Il voulut essayer sa cruauté novice
Sur un coeur simple et malheureux.Quand tu voudras encore égarer l’innocence,
Quand tu voudras voir brûler et languir,
Quand tu voudras faire aimer et mourir,
N’emprunte pas d’autre éloquence.L’art de séduire est là, comme il est dans son coeur !
Va ! Tu n’as plus besoin d’étude.
Sois léger par penchant, ingrat par habitude,
Donne la fièvre, amour, et garde ta froideur.Ne change rien aux aveux pleins de charmes
Dont la magie entraîne au désespoir :
Tu peux de chaque mot calculer le pouvoir,
Et choisir ceux encore imprégnés de mes larmes…Il n’ose me répondre, il s’envole… il est loin.
Puisse-t-il d’un ingrat éterniser l’absence !
Il faudrait par fierté sourire en sa présence :
J’aime mieux souffrir sans témoin.Il ne reviendra plus, il sait que je l’abhorre ;
Je l’ai dit à l’amour, qui déjà s’est enfui.
S’il osait revenir, je le dirais encore :
Mais on approche, on parle… hélas ! Ce n’est pas lui !
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Marceline DESBORDES-VALMORE
Marceline Desbordes-Valmore, née à Douai le 20 juin 1786 et morte à Paris le 23 juillet 1859, est une poétesse française. Elle est la fille d’un peintre en armoiries, devenu cabaretier à Douai après avoir été ruiné par la Révolution. À la fin de 1801, après un séjour à Rochefort et à Bordeaux, Marceline et sa mère... [Lire la suite]
L'infernale immuable a un goût de chimère
Se figeant sur mes mots - L'encre mauve se meurt
Á la croisée du soir quand ma plume est amère
J'aimerai caresser l'âme de ce dormeur ________
Pourpre comme le vin à l'ivresse éphémère
Seul le silence meurt sur nos chaînes de peur
Ma peur qui crie de haine - Esquisse meurtrière
Cet Amour ? Quel fléau - Quelle affreuse torpeur !
Je veux le sentir vivre - Il est ce qu'il me reste !
Car d'ennui il détruit ma passion si funeste
Déflorant sur mon temps, chaque jour la douleur
Je hais ce que je suis je n'ai plus de chaleur
Je sais, sa cruauté est un savant mélange
Secret et trop obscur tel l'arcane d'un ange !
Multiples chimères
______________
Élever plusieurs chimères,
C'est mon travail de rimeur ;
Leurs âmes parfois amères
Ont des mouvements charmeurs.
Chaque chimère éphémère
Chante ses propos trompeurs,
Chante ses propos sommaires
Puis se noie dans la torpeur.
Parfois, l'une d'elle reste
(Est-ce une chose funeste ?)
Au jardin, parmi les fleurs.
Elle goûte la chaleur,
Les parfums qui se mélangent
Et ce sonnet bien étrange.
Voir
https://paysdepoesie.wordpress.com/2014/05/17/multiples-chimeres/