À Jean de Paris
Improvisé à une représentation de Don Juan.
Jean de Paris, bravo ! radieux dans ta loge,
Prodigue à ton patron des sourires d’éloge ;
Tu peux battre des mains à ses prouesses, mais
L’imiter, rarement, le comprendre, jamais.
L’escrime fatigua tes mains inoccupées ;
Ton pistolet au tir abattit cent poupées,
Par ta canne dansante un enfant effleuré
Pleure, et tu le tueras parce qu’il a pleuré
Et tu diras, le soir, froissant un corps de femme :
« Es-tu content de moi, don Juan, mon maître ? » Infâme !
Non, tu n’es pas don Juan ; car don Juan, le maudit,
À l’œil émerveillé comme un spectre grandit.
Auprès de ce géant tu n’as pas une toise ;
Il venait de l’enfer, toi tu viens de … Pontoise.
Il chantait, il raillait, et toi, tu n’es qu’un sot
Qu’on peut tuer d’un vers, et bâillonner d’un mot.
C’était un oiseleur qui, d’un coup de résille,
Attrapait Elvira, Léonor, Inésille,
Papillons qu’au Prado le soir voyait courir,
Si frêles qu’un baiser trop lourd les fit mourir,
Et si beaux qu’on aurait enrichi vingt chapelles
Avec la poudre d’or que secouaient leur ailes.
Convoitait-il un ange aux cheveux noirs ou blonds,Son échelle de soie avant tant d’échelons
Qu’il eût, de cieux en cieux, pu monter, je parie,
Pour baiser les pieds nus de la vierge Marie.
Si la foudre eût bougé, prêt à tous les combats,
À la vieille groudeuse il aurait dit : Plus bas !
Par une corde à puits te hissant aux gouttières,
Toi, tu vas dénicher des filles de portières ;
Auprès de la beauté qui te doit sa pâleur,
La duègne, qui plaida ta cause avec chaleur,
Ne froisse étincelants ni missel ni rosaire,
A des haillons pour mante, et pour nom : la Misère.
L’oiseau dans tes filets ne tomba pas vaincu
À l’appel de ton chant, mais au son d’un écu.
Tu n’as rien, fils du nord, de ce sang qui pétille
Sous un regard de femme, au soleil de Castille ;
Sang créateur des Cids, qui plus tard même a pu
Produire encor des Juans, lorsqu’il s’est corrompu.
Le peuple, ivre de faim, qui ronfle au coin des bornes,
Quand le taureau royal le pique de ses cornes,
Se réveillant d’un bond du lourd sommeil qu’il dort,
Lui du moins sait combattre en beau toréador.
Mais toi !… soulève encor des bruits de Bacchanales ;
Essuie encor du sang à des gorges vénales ;
Crève encor des chevaux, blesse encor des maris ;
Tu ne seras jamais rien… que Jean de Paris.Oh ! si le plébéien que ton pistolet tue
Sur sa fosse à Clamart revivait en statue,
Et qu’au son de minuit, quand meurt le gaz tremblant,
Quittant son piédestal, l’homme de marbre blanc,
Dans le sombre café que ta visite honore,
Allongeait ses pas lourds sur la dalle sonore ;
Pour te marquer au front d’un signe flétrissant,
Il n’aurait pas trempé son index dans le sang ;
Non, mais ses doigts de pierre, en souffletant ta joue,
Y laisseraient empreinte une tache de boue,
Large, noire, et sa voix tonnerait en ces mots :
« Ton enfer n’est pas prêt, lâche auteur de mes maux…
» Vis : Dieu te couvre encor d’un mépris débonnaire ;
» Tu ne dois pas mourir par un coup de tonnerre :» Sous le poids du mépris, vieux sans avoir vécu,
» Tu mourras… tu mourras d’un coup de … ! »
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Hégésippe MOREAU
Hégésippe Moreau est un écrivain, poète et journaliste français, né et mort à Paris (8 avril 1810 – 20 décembre 1838). Inscrit à l’état civil sous le nom de Pierre-Jacques Roulliot, il porte dès son enfance le nom de son père naturel et adopte le pseudonyme d’Hégésippe en publiant ses premiers vers à Paris en... [Lire la suite]
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire