A feu Monsieur de Lozières
Ode
Mon Dieu que la franchise est rare !
Qu’on trouve peu d’honnêtes gens !
Que la Fortune et ses régents
Sont pour moi d’une humeur avare !
Lozières, personne que toi,
Dans les troubles où je me vois,
Ne me montre un œil favorable :
Tout ne me fait qu’empêchement,
Et l’ami le plus secourable
Ne m’assiste que lâchement.Si j’étais un homme de fange,
Ou d’un esprit injurieux,
Qui ne portât jamais les yeux
Sur le sujet d’une louange,
Ou qu’on m’eût vu désobliger
Ceux qui me veulent affliger,
Je ne serais point pardonnable,
J’approuverais mes ennemis,
Et trouverais irraisonnable
Le secours que tu m’as promis.Mais jamais encore l’envie
D’écrire un pasquin ne me prit,
Et tout le soin de mon esprit
Ne tend qu’à l’aise de ma vie.
J’aime bien mieux ne dire mot
Du plus infâme et du plus sot,
Et me sauver dans le silence,
Que d’exposer mal à propos
À l’effort d’une violence
Ma renommée et mon repos.O destin, que tes lois sont dures !
L’innocence ne sert de rien.
Que le sort d’un homme de bien
À de cruelles aventures !
Ce grand Duc redouté de tous,
Dont je ne souffre le courroux
Pour aucun crime que je sache,
Me menace d’un châtiment
Contre qui l’âme la plus lâche
Frémirait de ressentiment.Il est bien aisé de me nuire,
Car je ne puis m’assujettir
Au souci de me garantir
Quoi qu’on fasse pour me détruire.
Je sais bien qu’un astre puissant,
À tous ses vœux obéissant,
Force les plus fiers à lui plaire ;
Et que c’est plus de dépiter
La menace de sa colère
Que la foudre de Jupiter.Mais que la flamme du tonnerre
Vienne éclater à mon trépas,
Et le Ciel fasse sous mes pas
Crever la masse de la terre !
Mon esprit sans étonnement
S’apprête à son dernier moment.
Plus je sens approcher le terme,
Plus je désire aller au port,
Et toujours d’un visage ferme
Je regarde venir la mort.Ainsi, quoique ce fier courage
Menace mon faible destin,
Sans être poltron ni mutin
Je verrai fondre cet orage
Et conjurer ton amitié
De n’avoir ni soin ni pitié
Quelque malheur qui m’importune.
Dieu nous blesse et nous sait guérir :
Et les hommes, ni la Fortune,
Ne nous font vivre, ni mourir.
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Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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