Poème 'À Augustine Brohan' de Théodore de BANVILLE dans 'Odes funambulesques'

À Augustine Brohan

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Odes funambulesques"

Thalie, amante des grands cœurs,
Voix éloquente et vengeresse,
J’ai bu les amères liqueurs :
Prends mes chansons, bonne Déesse.

Berce-les au bruit des grelots !
Muse au beau front, nymphe homérique,
De ta lèvre coule à grands flots
Notre inspiration lyrique.

Ton rire, comme un clair soleil,
Épanouit les gaîtés franches,
Pourpre vive, rosier vermeil,
Éblouissement de dents blanches !

Que de fois, chancelant encor
Sous le mal dont je suis la proie,
Tes accents de cristal et d’or
M’ont rendu la force et la joie !

Oh ! que de fois j’ai mendié
L’enthousiasme et l’ironie
Sur le théâtre incendié
Par les éclairs de ton génie !

C’est pourquoi, ne dédaigne pas
Le pur diamant de mes rimes,
Nymphe, dont j’ai baisé les pas
Sur la neige des grandes cimes.

Car sur ton front céleste a lui
L’ardent rayon qui me déchire,
Et nous nous aimons en Celui
Qui nous a légué son martyre.

O spectacle trois fois divin
De voir une telle écolière
Tremper sa bouche dans le vin
Dont s’enivra le grand Molière !

Toi qui le charmes au tombeau,
Thalie, Augustine, âme élue
Pour ce délire encor si beau,
L’Ode est ta sœur, et te salue.

Septembre 1858.

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