46 – Le jour meurs et la nuict ars
CCCCXI [=CCCCII] .
La roue en fin le fer assubtilie,
Et le rend apte a trancher la durté.
Adversité qui l’orgeuil humilie,
Au coeur gentil de passion hurté
Fait mespriser fortune, & malheurté,
Le reservant a plus seconde chose.
Mais mon travail sans entremesler pose
A mon souffrir, m’aiguise par ses artz
Si vivement, que (si dire je l’ose)
Tout le jour meurs, & toute la nuict ars.CCCCXII [=CCCCIII] .
Tout le jour meurs voyant celle presente,
Qui m’est de soy meurdryerement benigne.
Toute nuict j’ars la desirant absente,
Et si me sens a la revoir indigne,
Comme ainsi soit que pour ma Libytine
Me fut esleue, & non pour ma plaisance.
Et mesmement que la molle nuisance
De cest Archier superbement haultain
Me rend tousjours par mon insuffisance
D’elle doubteux, & de moy incertain.CCCCXIII [=CCCCIIII] .
Tant plus je veulx d’elle me souvenir,
Plus a mon mal, maulgré moy, je consens.
Que j’aurois cher (s’il debvoit advenir)
Que la douleur m’osta plus tost le sens
Que la memoire, ou reposer je sens
Le nom de celle, Amour, ou tu regnois
Lors qu’au besoing tu me circonvenois,
Tant qu’a la perdre a present je souhaicte.
Car si en rien je ne m’en souvenois,
Je ne pourrois sentir douleur parfaicte.CCCCXIIII [=CCCCV] .
Heur me seroit tout aultre grand malheur
Pour le desastre influant ma disgrace,
Ou Apollo ne peult par sa valeur,
Ne la Fortune opulentement grasse.
Car sa rigueur incessamment me brasse
Novelle ardeur de vains desirs remplye.
Parquoy jamais je ne voy accomplye
La voulenté, qui tant me bat le poulx,
Que la douleur, qui en mon front se plye,
Tressue au bien trop amerement doulx.CCCCXV [=CCCCVI] .
Haultain vouloir en si basse pensée,
Haulte pensée en un si bas vouloir
Ma voulenté ont en ce dispensée,
Qu’elle ne peult, & si se deubt douloir.
Pource souvent mettant a nonchaloir
Espoir, ennuy, attente, & fascherie,
Veult que le Coeur, bien qu’il soit fasché, rie
Au goust du miel mes incitementz:
Et que le mal par la peine cherie
Soit trouvé Succre au fiel de mes tourmentz.CCCCXVI [=CCCCVII] .
En moy saisons, & aages finissantz
De jour en jour descouvrent leurs fallace.
Tournant les Jours, & Moys, & ans glissantz,
Rides arantz defformeront ta face.
Mais ta vertu, qui par temps ne s’esface,
Comme la Bise en allant acquiert force,
Incessamment de plus en plus s’esforce
A illustrer tes yeulx par mort terniz.
Parquoy, vivant soubz verdoyante escorce,
S’esgallera aux Siecles infiniz.CCCCXVII [=CCCCVIII] .
Quand Mort aura, apres long endurer,
De ma triste ame estendu le corps vuyde,
Je ne veulz point pour en Siecles durer,
Un Mausolée ou une piramide
Mais bien me soit, Dame, pour tumbe humide
(Si digne en suis) ton sein delicieux
Car si vivant sur Terre, & soubz les Cieulx,
Tu m’as tousjours esté guerre implacable,
Apres la mort en ce lieu precieux
Tu me seras, du moins, paix amyable.CCCCXVIII [=CCCCIX] .
Appercevant cest Ange en forme humaine,
Qui aux plus fortz ravit le dur courage
Pour le porter au gracieux domaine
Du Paradis terrestre en son visage,
Ses beaulx yeulx clers par leur privé usage
Me dorent tout de leurs rayz espanduz.
Et quand les miens j’ay vers les siens tenduz,
Je me recrée au mal, ou je m’ennuye,
Comme bourgeons au Soleil estenduz,
Qui se refont aux gouttes de la pluye.CCCCXIX [=CCCCX] .
D’elle puis dire, & ce sans rien mentir,
Qu’ell’ à en soy je ne scay quoy de beau,
Qui remplit l’oeil, & qui se fait sentir
Au fond du coeur par un desir noveau,
Troublant a tous le sens, & le cerveau,
Voire & qui l’ordre a la raison efface.
Et tant plus plaict, que si attrayant face
Pour esmouvoir ce grand Censeur Romain,
Nuyre ne peult a chose qu’elle face,
Seure vivant de tout oultrage humain.
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