Poème '38 – Ma clarté tousjours en ténèbre' de Maurice SCÈVE dans 'Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)'

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38 – Ma clarté tousjours en ténèbre

Maurice SCÈVE
Recueil : "Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)"

CCCXL [=CCCXXX] .

Au centre heureux, au coeur impenetrable
A cest enfant sur tous les Dieux puissant,
Ma vie entra en tel heur miserable,
Que, pour jamais, de moy se bannissant,
Sur son Printemps librement fleurissant
Constitua en ce sainct lieu de vivre,
Sans aultrement sa liberté poursuyvre
Ou se nourrit de pensementz funebres:
Et plus ne veult le jour, mais la nuict suyvre.
Car sa lumiere est tousjours en tenebres.

CCCXLI [=CCCXXXI] .

L’humidité, Hydraule de mes yeulx,
Vuyde tousjours par l’impie en l’oblique,
L’y attrayant, pour air des vuydes lieux,
Ces miens souspirs, qu’a suyvre elle s’applique.
Ainsi tous temps descent, monte, & replique.
Pour abrever mes flammes appaisées.
Doncques me sont mes larmes si aisées
A tant pleurer, que sans cesser distillent?
Las du plus, hault goutte a goutte elles filent,
Tombant aux sains, dont elles sont puysées.

CCCXLII [=CCCXXXII] .

Ouvrant ma Dame au labeur trop ardente,
Son Dé luy cheut, mais Amour le luy dresse.
Et le voyant sans raison evidente
Ainsi trouvé, vers Delie s’addresse.
C’est, luy dit elle, affin que ne m’oppresse
L’aiguille aigue, & que point ne m’offence.
Donc, respond il, je croy que sa deffence
Fait que par moy ton coeur n’est point vaincu.
Mais bien du mien, dy je, la ferme essence
Encontre toy luy sert tousjours d’escu.

CCCXLIII [=CCCXXXIII] .

Courantz les jours a declination
Phoebus s’eschauffe en l’ardent Canicule.
Plus croist en moy mon inflammation,
Quand plus de moy ma vie se recule.
Et jà (de loing,) courbe viellesse accule
Celle verdeur, que je senty novelle.
Ce neantmoins tousjours se renovelle
Le mal, qui vient ma playe reunir.
Ainsi (ô sort) l’esproeuve nous revelle
Amour povoir les plus vieulx rejeunir.

CCCXLIIII [=CCCXXXIIII] .

En aultre part, que là, ou ilz aspirent,
Je sens tousjours mes souspirs s’en aller,
Voire enflambez: Car alors qu’ilz respirent,
Ce n’est sinon pour l’ardeur exhaler,
Qui m’occupant l’alaine, & le parler,
Me fait des yeulx si grosse pluye estraindre.
Mes larmes donc n’ont elles peu estaindre
Mon feu, ou luy mes grandz pleurs dessecher?
Non: mais me font, sans l’un l’aultre empecher,
Comme boys vert, bruler, pleurer, & plaindre.

CCCXLV [=CCCXXXV] .

Pour la fraicheur Delie se dormoit
Sur la fontaine, & l’Archier en personne,
Qui dedans l’eau d’elle, que tant aymoit,
Voit la figure, & aulcun mot ne sonne:
Car en ce lieu sa mere il souspeçonne,
Dont il se lance au fond pour la baiser.
Hà, dy je lors, pour ma Dame appaiser,
Tu pleures bien cest Amour en ces eaux,
Et si ne plaings le mien, qui pour se ayser,
Se pert du tout en ces deux miens ruysseaulx.

CCCXLVI [=CCCXXXVI] .

Ne cuydez point entre vous, qui suyvistes,
Comme je fays, cest Enfant desvoyé,
Que mes souspirs trop legerement vistes
N’ayent mon coeur sainctemnt [=sainctement] desvoyé.
Car il y fut pour mon bien envoyé
Et a son pire il se voyt parvenu.
Puis qu’il est donc vers elle mal venu,
Pourquoy ne vois je acoup le retirer?
Las je crains trop, qu’en lieu de le tirer,
Le Corps ne soit, comme luy, detenu.

CCCXLVII [=CCCXXXVII] .

Veu que Fortune aux accidentz commande,
Amour au Coeur, & la Mort sur le Corps:
Occasion conteste a la demande,
Qu’affection pretent en ses accordz.
Toy seule, ô Parque, appaises leurs discordz,
Restituant la liberté ravie.
Vien donc, heureuse, & desirée envie,
Nous delyvrant de tant facheux encombres:
Vien sans doubter, que l’esprit, & la vie
Par toy fuyront indignez soubz les umbres.

CCCXLVIII [=CCCXXXVIII] .

Affection en un si hault desir
Poulsa le Coeur, qu’il y attira l’Ame
Toute credule, & d’un noveau plaisir
(Combien que vain) si doulcement l’enflamme,
Que toute ardente en si confuse flamme,
Moins si congnois [=si congnoist], quand plus de douleur sent.
Que songe cheoir en un peril recent,
Pene, & tressue encores qu’il s’esveille:
Parquoy je souffre & present & absent,
Comme enchanté d’amoureuse merveille.

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