10 – Satire X – Enfin, bornant le cours de tes galanteries…
Enfin, bornant le cours de tes galanteries,
Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries.
Sur l’argent, c’est tout dire, on est déjà d’accord.
Ton beau père futur vide son coffre-fort :
Et déja le notaire a, d’un style énergique,
Griffonné de ton joug l’instrument authentique.
C’est bien fait. Il est temps de fixer tes désirs.
Ainsi que ses chagrins l’hymen a ses plaisirs.
Quelle joie en effet, quelle douceur extrême !
De se voir caressé d’une épouse qu’on aime :
De s’entendre appeller petit cœur, ou mon bon ;
De voir autour de soi croître dans sa maison,
Sous les paisibles lois d’une agréable mère,
De petits citoyens dont on croit être père !
Quel charme ! Au moindre mal qui nous vient menacer,
De la voir aussitôt accourir, s’empresser,
S’effrayer d’un péril qui n’a point d’apparence,
Et souvent de douleur se pâmer par avance.
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux
Qui tandis qu’une épouse à leurs yeux se désole,
Pensent toujours qu’un autre en secret la console.
Mais quoi, je vois déjà que ce discours t’aigrit.
« Carmé de Juvénal, et plein de son esprit
Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée,
Comme lui nous chanter : que dès le temps de Rhée
La chasteté déja, la rougeur sur le front,
Avait chez les humains reçu plus d’un affront :
Qu’on vit avec le fer naître les injustices,
L’impiété, l’orgueil, et tous les autres vices,
Mais que la bonne foi dans l’amour conjugal
N’alla point jusqu’au temps du troisième métal ?
Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable :
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable,
Que si sous Adam même, et loin avant Noé,
Le vice audacieux des hommes avoué
A la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de l’honneur sur la terre :
Qu’aux temps les plus féconds en Phrynés, en Laïs,
Plus d’une Pénélope honora son pays ;
Et que même aujourd’hui, sur ces fameux modèles,
On peut trouver encor quelques femmes fidèles. »
– Sans doute ; et dans Paris, si je sais bien compter,
Il en est jusqu’à trois, que je pourrais citer.
Ton épouse dans peu sera la quatrième.
Je le veux croire ainsi : mais la chasteté même,
Sous ce beau nom d’épouse, entrât-t-elle chez toi ;
De retour d’un voyage en arrivant, crois-moi,
Fais toujours du logis avertir la maîtresse.
Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrèce ;
Qui faute d’avoir pris ce soin judicieux,
Trouva. Tu sais… – « je sais que d’un conte odieux
Vous avez comme moi sali votre mémoire.
Mais laissons là, dis-tu, Joconde et son histoire.
Du projet d’un hymen déja fort avancé,
Devant vous aujourd’hui criminel dénoncé,
Et mis sur la sellette aux pieds de la critique,
Je vois bien tout de bon qu’il faut que je m’explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit,
J’ai trop bien profité, pour n’être pas instruit
A quels discours malins le mariage expose.
Je sais, que c’est un texte où chacun fait sa glose :
Que de maris trompés tout rit dans l’univers,
Epigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
Satire, comédie ; et sur cette matière
J’ai vu tout ce qu’ont fait La Fontaine et Molière :
J’ai lu tout ce qu’ont dit Villon et Saint-Gelais,
Arioste, Marot, Boccace, Rabelais,
Et tous ces vieux recueils de satires naïves,
Des malices du sexe immortelles archives.
Mais tout bien balancé, j’ai pourtant reconnu,
Que de ces contes vains, le monde entretenu
N’en a pas de l’hymen moins vu fleurir l’usage ;
Que sous ce joug moqué tout à la fin s’engage :
Qu’à ce commun filet les railleurs mêmes pris,
Ont été très souvent de commodes maris ;
Et que pour être heureux sous ce joug salutaire,
Tout dépend en un mot du bon choix qu’on sait faire.
Enfin, il faut ici parler de bonne foi,
Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi,
Ces neveux affamés, dont l’importun visage
De mon bien à mes yeux fait déjà le partage.
Je crois déjà les voir au moment annoncé
Qu’à la fin, sans retour, leur cher oncle est passé,
Sur quelques pleurs forcés qu’ils auront soin qu’on voie,
Se faire consoler du sujet de leur joie.
Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer,
De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler ;
Et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes,
Arracher de leurs yeux de véritables larmes.
Vous dirai-je encor plus ? Soit faiblesse, ou raison,
Je suis las de me voir les soirs en ma maison
Seul avec des valets, souvent voleurs et traîtres,
Et toujours, à coup sûr, ennemis de leurs maîtres.
Je ne me couche point, qu’aussitôt dans mon lit
Un souvenir fâcheux n’apporte à mon esprit
Ces histoires de morts lamentables, tragiques,
Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques.
Dépouillons-nous ici d’une vaine fierté.
Nous naissons, nous vivons pour la société.
A nous-mêmes livrés dans une solitude,
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude ;
Et si, durant un jour, notre premier aïeul
Plus riche d’une côte avait vécu tout seul,
Je doute, en sa demeure alors si fortunée,
S’il n’eût point prié Dieu d’abréger la journée.
N’allons donc point ici reformer l’univers,
Ni par de vains discours, et de frivoles vers
Etalant au public notre misanthropie,
Censurer le lien le plus doux de la vie.
Laissons là, croyez-moi, le monde tel qu’il est.
L’hyménée est un joug, et c’est ce qui m’en plaît.
L’homme en ses passions toujours errant sans guide,
A besoin qu’on lui mette et le mors et la bride.
Son pouvoir malheureux ne sert qu’à le gêner,
Et pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C’est ainsi que souvent la main de Dieu l’assiste. »
– Ha bon ! Voilà parler en docte janséniste,
Alcippe, et sur ce point si savamment touché,
Desmares, dans Saint-Roch, n’aurait pas mieux prêché.
Mais c’est trop t’insulter. Quittons la raillerie.
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie.
Tu viens de mettre ici l’hymen en son beau jour.
Entends donc : et permets que je prêche à mon tour.
L’épouse que tu prends, sans tache en sa conduite,
Aux vertus, m’a-t-on dit, dans Port-Royal instruite,
Aux lois de son devoir règle tous ses désirs.
Mais qui peut t’assurer, qu’invincible aux plaisirs
Chez toi dans une vie ouverte à la licence,
Elle conservera sa première innocence ?
Par toi-même bientôt conduite à l’opéra,
De quel air penses-tu, que ta sainte verra
D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse,
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse ;
Entendra ces discours sur l’amour seul roulant,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands ;
Saura d’eux qu’à l’amour comme au seul Dieu suprême,
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même :
Qu’on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer :
Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer ;
Et tous ces lieux communs de morale lubrique,
Que Lully réchauffa des sons de sa musique ?
Mais de quels mouvements dans son cœur excités
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités ?
Je ne te répons pas, qu’au retour moins timide,
Digne écoliere enfin d’Angélique et d’Armide,
Elle n’aille à l’instant pleine de ces doux sons,
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.
Supposons toutefois, qu’encor fidèle et pure,
Sa vertu de ce choc revienne sans blessure :
Bientôt dans ce grand monde, où tu vas l’entraîner,
Au milieu des écueils qui vont l’environner,
Crois-tu que toujours ferme aux bords du précipice
Elle pourra marcher sans que le pied lui glisse ?
Que toujours insensible aux discours enchanteurs
D’un idolâtre amas de jeunes séducteurs,
Sa sagesse jamais ne deviendra folie ?
D’abord tu la verras, ainsi que dans Clélie,
Recevant ses amants sous le doux nom d’amis,
S’en tenir avec eux aux petits soins permis :
Puis, bientôt en grande eau sur le fleuve du tendre,
Naviguer à souhait, tout dire, et tout entendre.
Et ne présume pas que Vénus, ou Satan
Souffre qu’elle en demeure aux termes du roman.
Dans le crime il suffit qu’une fois on débute,
Une chute toujours attire une autre chute.
L’honneur est comme une île escarpée et sans bords.
On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors.
Peut-être, avant deux ans ardente à te déplaire,
Eprise d’un cadet, ivre d’un mousquetaire,
Nous la verrons hanter les plus honteux brelans,
Donner chez la Cornu rendez-vous aux galants ;
De Phèdre dédaignant la pudeur enfantine,
Suivre à front découvert Z(…) et Messaline ;
Conter pour grands exploits vingt hommes ruinés,
Blessés, battus pour elle, et quatre assassinés ;
Trop heureux ! Si toujours femme désordonnée,
Sans mesure et sans règle au vice abandonnée,
Par cent traits d’impudence aisés à ramasser,
Elle t’acquiert au moins un droit pour la chasser.
Mais que deviendras-tu ? Si, folle en son caprice,
N’aimant que le scandale et l’éclat dans le vice,
Bien moins pour son plaisir, que pour t’inquiéter,
Au fond peu vicieuse elle aime à coqueter ?
Entre nous, verras-tu, d’un esprit bien tranquille,
Chez ta femme aborder et la cour et la ville ?
Tout, hormis toi, chez toi, rencontre un doux accueil.
L’un est payé d’un mot, et l’autre d’un coup d’oeil.
Ce n’est que pour toi seul qu’elle est fière et chagrine.
Aux autres elle est douce, agréable, badine :
C’est pour eux qu’elle étale et l’or, et le brocard ;
Que chez toi se prodigue et le rouge et le fard,
Et qu’une main sçavante, avec tant d’artifice,
Bâtit de ses cheveux le galant édifice.
Dans sa chambre, crois-moi, n’entre point tout le jour.
Si tu veux posséder ta Lucrèce à son tour,
Attends, discret mari, que la belle en cornette
Le soir ait étalé son teint sur la toilette,
Et dans quatre mouchoirs, de sa beauté salis,
Envoie au blanchisseur ses roses et ses lys.
Alors, tu peux entrer : mais sage en sa présence
Ne va pas murmurer de sa folle dépense.
D’abord l’argent en main paye et vite et comptant.
Mais non, fais mine un peu d’en être mécontent,
Pour la voir aussitôt, sur ses deux pieds haussée,
Déplorer sa vertu si mal récompensée.
Un mari ne veut pas fournir à ses besoins !
Jamais femme après tout a-t-elle coûté moins ?
A cinq cents louis d’or, tout au plus, chaque année,
Sa dépense en habits n’est-elle pas bornée ?
Que répondre ? Je vois, qu’à de si justes cris,
Toi-même convaincu déjà tu t’attendris,
Tout prêt à la laisser, pourvu qu’elle s’appaise,
Dans ton coffre en pleins sacs puiser tout à son aise.
A quoi bon en effet t’alarmer de si peu ?
Hé ! Que serait-ce donc, si le démon du jeu
Versant dans son esprit sa ruineuse rage,
Tous les jours mis par elle à deux doigts du naufrage
Tu voyais tous tes biens au sort abandonnés
Devenir le butin d’un pique ou d’un sonnés !
Le doux charme pour toi ! De voir chaque journée
De nobles champions ta femme environnée,
Sur une table longue et façonnée exprès,
D’un tournois de bassette ordonner les apprêts :
Ou, si par un arrêt la grossière police
D’un jeu si nécessaire interdit l’exercice,
Ouvrir sur cette table un champ au lansquenet,
Ou promener trois dés chassés de son cornet :
Puis sur une autre table, avec un air plus sombre,
S’en aller méditer une vole au jeu d’ombre ;
S’écrier sur un as mal à propos jeté :
Se plaindre d’un gâno qu’on n’a point écouté ;
Ou, querellant tout bas le ciel qu’elle regarde,
A la bête gémir d’un roi venu sans garde.
Chez elle en ces emplois, l’aube du lendemain
Souvent la trouve encor les cartes à la main.
Alors, pour se coucher les quittant, non sans peine,
Elle plaint le malheur de la nature humaine
Qui veut qu’en un sommeil, où tout s’ensevelit,
Tant d’heures, sans jouer, se consument au lit.
Toutefois en partant la troupe la console,
Et d’un prochain retour chacun donne parole.
C’est ainsi qu’une femme en doux amusemens
Sait du temps qui s’envole employer les moments ;
C’est ainsi que souvent par une forcenée,
Une triste famille à l’hôpital traînée,
Voit ses biens en décret sur tous les murs écrits,
De sa déroute illustre effrayer tout Paris.
Mais que plutôt son jeu mille fois te ruine,
Que si la famélique et honteuse Lésine,
Venant, mal à propos, la saisir au collet,
Elle te réduisait à vivre sans valet,
Comme ce magistrat de hideuse mémoire
Dont je veux bien ici te crayonner l’histoire.
Dans la robe on vantait son illustre maison.
Il était plein d’esprit, de sens, et de raison.
Seulement pour l’argent un peu trop de faiblesse,
De ces vertus en lui ravalait la noblesse.
Sa table toutefois, sans superfluité,
N’avait rien que d’honnête en sa frugalité :
Chez lui deux bons chevaux de pareille encolure
Trouvoient dans l’écurie une pleine pâture,
Et du foin, que leur bouche au ratelier laissait,
De surcroît une mule encor se nourrissait.
Mais cette soif de l’or qui le brûlait dans l’âme
Le fit enfin songer à choisir une femme ;
Et l’honneur dans ce choix ne fut point regardé.
Vers son triste penchant son naturel guidé
Le fit dans une avare et sordide famille
Chercher un monstre affreux sous l’habit d’une fille,
Et sans trop s’enquérir d’où la laide venait,
Il sut, ce fut assez, l’argent qu’on lui donnait.
Rien ne le rebuta ; ni sa vue éraillée,
Ni sa masse de chair bizarrement taillée ;
Et trois-cent mille francs avec elle obtenus
La firent à ses yeux plus belle que Vénus.
Il l’épouse, et bientôt son hôtesse nouvelle
Le prêchant, lui fit voir qu’il estoit au prix d’elle
Un vrai dissipateur, un parfait débauché.
Lui-même le sentit, reconnut son péché,
Se confessa prodigue, et plein de repentance
Offrit sur ses avis de régler sa dépense.
Aussitôt de chez eux tout rôti disparut :
Le pain bis renfermé d’une moitié décrut :
Les deux chevaux, la mule, au marché s’envolèrent,
Deux grands laquais à jeun, sur le soir s’en allèrent.
De ces coquins déjà l’on se trouvoit lassé,
Et pour n’en plus revoir le reste fut chassé.
Deux servantes déjà largement souffletées,
Avaient à coups de pied descendu les montées,
Et se voyant enfin hors de ce triste lieu
Dans la rue en avaient rendu grâces à Dieu.
Un vieux valet restait, seul chéri de son maître,
Que toujours il servit, et qu’il avoit vu naître,
Et qui de quelque somme amassée au bon temps
Vivoit encor chez eux, partie à ses dépens.
Sa vue embarrassait ; il fallut s’en défaire :
Il fut de la maison chassé comme un corsaire.
Voilà nos deux époux, sans valets, sans enfants,
Tous seuls dans leur logis libres et triomphants.
Alors on ne mit plus de borne à la lésine.
On condamna la cave, on ferma la cuisine :
Pour ne s’en point servir aux plus rigoureux mois,
Dans le fond d’un grenier on séquestra le bois.
L’un et l’autre dès lors vécut à l’aventure
Des présents qu’à l’abri de la magistrature,
Le mari quelquefois des plaideurs extorquait,
Ou de ce que la femme aux voisins escroquait.
Mais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son lustre,
Il faut voir du logis sortir ce couple illustre ;
Il faut voir le mari tout poudreux, tout souillé,
Couvert d’un vieux chapeau de cordon dépouillé,
Et de sa robe en vain de pièces rajeunie,
A pied dans les ruisseaux traînant l’ignominie.
Mais qui pourroit compter le nombre de haillons,
De pièces, de lambeaux, de sales guenillons,
De chiffons ramassés dans la plus noire ordure,
Dont la femme aux bons jours composait sa parure ?
Décrirai-je ses bas en trente endroits percés,
Ses souliers grimaçants vingt fois rapetassés,
Ses coiffes d’où pendait au bout d’une ficelle
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu’elle ?
Peindrai-je son jupon bigarré de latin
Qu’ensemble composaient trois thèses de satin,
Présent qu’en un procès sur certain privilège
Firent à son mari les régents d’un collège,
Et qui sur cette jupe à maint rieur encor
Derrière elle faisait dire, argumentabor ?
Mais peut-être j’invente une fable frivole.
Déments donc tout Paris, qui prenant la parole,
Sur ce sujet encor de bons témoins pourvu,
Tout prêt à le prouver, te dira : « je l’ai vu,
Vingt ans j’ai vu ce couple uni d’un même vice
A tous mes habitants montrer que l’avarice
Peut faire dans les biens trouver la pauvreté,
Et nous réduire à pis que la mendicité.
Des voleurs qui chez eux pleins d’espérance entrèrent
De cette triste vie enfin les délivrerent.
Digne et funeste fruit du nœud le plus affreux
Dont l’hymen ait jamais uni deux malheureux.
Ce récit passe un peu l’ordinaire mesure.
Mais un exemple enfin si digne de censure
Peut-il dans la satire occuper moins de mots ?
Chacun sait son métier : suivons notre propos.
Nouveau prédicateur aujourd’hui, je l’avoue,
Ecolier, ou plutôt singe de Bourdaloue,
Je me plais à remplir mes sermons de portraits.
En voilà déja trois peints d’assez heureux traits,
La femme sans honneur, la coquette, et l’avare.
Il faut y joindre encore la revêche bizarre,
Qui sans cesse d’un ton par la colère aigri,
Gronde, choque, dément, contredit un mari.
Il n’est point de repos ni de paix avec elle.
Son mariage n’est qu’une longue querelle.
Laisse-t-elle un moment respirer son époux ?
Ses valets sont d’abord l’objet de son courroux,
Et sur le ton grondeur, lors qu’elle les harangue,
Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue.
Ma plume ici traçant ces mots par alphabet,
Pourroit d’un nouveau tome augmenter Richelet.
Tu crains peu d’essuyer cette étrange furie.
En trop bon lieu, dis-tu, ton épouse nourrie
Jamais de tels discours ne te rendra martyr.
Mais eût-elle sucé la raison dans Saint Cyr,
Crois-tu que d’une fille humble, honnête, charmante,
L’hymen n’ait jamais fait de femme extravagante ?
Combien n’a-t-on point vu de belles aux doux yeux,
Avant le mariage, anges si gracieux,
Tout à coup se changeant en bourgeoises sauvages,
Vrais démons, apporter l’enfer dans leurs ménages,
Et découvrant l’orgueil de leurs rudes esprits,
Sous leur fontange altière asservir leurs maris ?
Et puis, quelque douceur dont brille ton épouse,
Penses-tu, si jamais elle devient jalouse,
Que son âme livrée à ses tristes soupçons,
De la raison encor écoute les leçons ?
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses œuvres.
Résous-toi, pauvre époux, à vivre de couleuvres :
A la voir tous les jours, dans ses fougueux accès,
A ton geste, à ton rire intenter un procès :
Souvent de ta maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés, t’attendre au coin des rues :
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés,
Et partout où tu vas, dans ses yeux enflammés
T’offrir non pas d’Isis , la tranquille Euménide,
Mais la vraie Alecto peinte dans l’Enéide ,
Un tison à la main chez le roi Latinus,
Soufflant sa rage au sein d’Amate et de Turnus.
Mais quoi ? Je chausse ici le cothurne tragique.
Reprenons au plutôt le brodequin comique,
Et d’objets moins affreux songeons à te parler.
Dis-moi donc, laissant là cette folle hurler,
T’accommodes-tu mieux de ces douces ménades,
Qui, dans leurs vains chagrins sans mal toujours malades,
Se font des mois entiers sur un lit effronté
Traiter d’une visible et parfaite santé,
Et douze fois par jour dans leur molle indolence,
Aux yeux de leurs maris tombent en défaillance ?
« Quel sujet, dira l’un, peut donc si fréquemment
Mettre ainsi cette belle aux bords du monument ?
La Parque ravissant ou son fils ou sa fille,
A-t-elle moissonné l’espoir de sa famille ? »
Non : il est question de réduire un mari
A chasser un valet dans la maison chéri,
Et qui, parce qu’il plaît, a trop su lui déplaire ;
Ou de rompre un voyage utile et nécessaire :
Mais qui la priverait huit jours de ses plaisirs,
Et qui loin d’un galant, objet de ses désirs…
Ô ! Que pour la punir de cette comédie,
Ne lui vois-je une vraie et triste maladie !
Mais ne nous fâchons point. Peut-être avant deux jours,
Courtois et Denyau mandés à son secours,
Digne ouvrage de l’art dont Hippocrate traite,
Lui sauront bien ôter cette santé d’athlète :
Pour consumer l’humeur qui fait son embonpoint,
Lui donner sagement le mal qu’elle n’a point,
Et fuyant de Fagon les maximes énormes,
Au tombeau mérité la mettre dans les formes.
Dieu veuille avoir son âme, et nous délivre d’eux.
Pour moi, grand ennemi de leur art hasardeux,
Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
Mais à quels vains discours est-ce que je m’amuse ?
Il faut sur des sujets plus grands, plus curieux,
Attacher de ce pas ton esprit et tes yeux.
Qui s’offrira d’abord ? Bon, c’est cette savante
Qu’estime Roberval, et que Sauveur fréquente.
D’où vient qu’elle a l’oeil trouble, et le teint si terni ?
C’est que sur le calcul, dit-on, de Cassini,
Un astrolabe en main, elle a dans sa gouttière
A suivre Jupiter passé la nuit entière.
Gardons de la troubler. Sa science, je crois,
Aura pour s’occuper ce jour plus d’un employ.
D’un nouveau microscope on doit en sa présence
Tantôt chez Dalancé faire l’expérience ;
Puis d’une femme morte avec son embryon,
Il faut chez Du Vernay voir la dissection.
Rien n’échappe aux regards de notre curieuse.
Mais qui vient sur ses pas ? C’est une précieuse,
Reste de ces esprits jadis si renommés,
Que d’un coup de son art Molière a diffamés.
De tous leurs sentiments cette noble héritière
Maintient encore ici leur secte façonnière.
C’est chez elle toujours que les fades auteurs
S’en vont se consoler du mépris des lecteurs.
Elle y reçoit leur plainte, et sa docte demeure,
Aux Perrins, aux Corras est ouverte à toute heure.
Là du faux bel esprit se tiennent les bureaux.
Là tous les vers sont bons, pourvu qu’ils soient nouveaux.
Au mauvais goût public la belle y fait la guerre :
Plaint Pradon opprimé des sifflets du parterre :
Rit des vains amateurs du grec et du latin ;
Dans la balance met Aristote et Cotin ;
Puis, d’une main encor plus fine et plus habile
Pèse sans passion Chapelain et Virgile ;
Remarque en ce dernier beaucoup de pauvreté ;
Mais pourtant confessant qu’il a quelques beautés,
Ne trouve en Chapelain, quoi qu’ait dit la satire,
Autre défaut, sinon, qu’on ne le sauroit lire ;
Et pour faire goûter son livre à l’univers,
Croit qu’il faudrait en prose y mettre tous les vers.
« A quoi bon m’étaler cette bizarre école,
Du mauvais sens, dis-tu, prêché par une folle ?
De livres et d’écrits bourgeois admirateur,
Vais-je épouser ici quelque apprentie auteur ?
Savez-vous que l’épouse avec qui je me lie
Compte entre ses parents des princes d’Italie ?
Sort d’aïeux dont les noms… « – Je t’entends, et je vois
D’où vient que tu t’es fait secrétaire du roi.
Il fallait de ce titre appuyer ta naissance.
Cependant, t’avouerai-je ici mon insolence ?
Si quelque objet pareil chez moi, deçà les monts,
Pour m’épouser entrait avec tous ces grands noms,
Le sourcil rehaussé d’orgueilleuses chimères,
Je lui dirais bientôt : « je connais tous vos pères :
Je sais qu’ils ont brillé dans ce fameux combat
Où sous l’un des Valois Enghien sauva l’état.
D’Hozier n’en convient pas : mais, quoi qu’il en puisse être :
Je ne suis point si sot que d’épouser mon maître.
Ainsi donc au plutôt délogeant de ces lieux,
Allez, princesse, allez avec tous vos aïeux
Sur le pompeux débris des lances espagnoles
Coucher, si vous voulez, aux champs de Cerizoles.
Ma maison, ni mon lit ne sont point faits pour vous. »
– « J’admire, poursuis-tu, votre noble courroux.
Souvenez-vous pourtant que ma famille illustre
De l’assistance au sceau ne tire point son lustre !
Et que né dans Paris de magistrats connus,
Je ne suis point ici de ces nouveaux venus,
De ces nobles sans nom, que par plus d’une voie
La province souvent en guêtres nous envoie.
Mais eussé-je comme eux des meuniers pour parents,
Mon épouse vînt-elle encor d’aïeux plus grands,
On ne la verrait point, vantant son origine,
À son triste mari reprocher la farine.
Son cœur toujours nouri dans la dévotion,
De trop bonne heure apprit l’humiliation :
Et pour vous détromper de la pensée étrange,
Que l’hymen aujourd’hui la corrompe et la change,
Sachez qu’en notre accord elle a, pour premier point,
Exigé, qu’un époux ne la contraindrait point
A traîner après elle un pompeux équipage,
Ni surtout de souffrir, par un profane usage,
Qu’à l’église jamais devant le Dieu jaloux,
Un fastueux carreau soit vu sous ses genoux.
Telle est l’humble vertu qui dans son âme empreinte… »
– Je le vois bien, tu vas épouser une sainte :
Et dans tout ce grand zèle, il n’est rien d’affecté.
Sais-tu bien cependant sous cette humilité
L’orgueil que quelquefois nous cache une bigote,
Alcippe, et connais-tu la nation dévote ?
Il te faut de ce pas en tracer quelques traits,
Et par ce grand portrait finir tous mes portraits.
A Paris, à la cour on trouve, je l’avoue,
Des femmes dont le zèle est digne qu’on le loue,
Qui s’occupent du bien en tout temps, en tout lieu.
J’en sais une chérie et du monde et de Dieu,
Humble dans les grandeurs, sage dans la fortune ;
Qui gémit, comme Esther, de sa gloire importune :
Que le vice lui-même est contraint d’estimer,
Et que sur ce tableau d’abord tu vas nommer.
Mais pour quelques vertus si pures, si sincères,
Combien y trouve-t-on d’impudentes faussaires,
Qui sous un vain dehors d’austère piété
De leurs crimes secrets cherchent l’impunité,
Et couvrent de Dieu même empreint sur leur visage
De leurs honteux plaisirs l’affreux libertinage ?
N’attends pas qu’à tes yeux j’aille ici l’étaler.
Il vaut mieux le souffrir que de le dévoiler.
De leurs galants exploits les Bussis, les Brantômes
Pouraient avec plaisir te compiler des tomes ;
Mais pour moi dont le front trop aisément rougit,
Ma bouche a déja peur de t’en avoir trop dit.
Rien n’égale en fureur, en monstrueux caprices,
Une fausse vertu qui s’abandonne aux vices.
De ces femmes pourtant l’hypocrite noirceur,
Au moins pour un mari garde quelque douceur.
Je les aime encor mieux qu’une bigotte altière,
Qui dans son fol orgueil, aveugle et sans lumière,
À peine sur le seuil de la dévotion,
Pense atteindre au sommet de la perfection :
Qui du soin qu’elle prend de me gêner sans cesse,
Va quatre fois par mois se vanter à confesse,
Et les yeux vers le ciel, pour se le faire ouvrir,
Offre à Dieu les tourments qu’elle me fait souffrir.
Sur cent pieux devoirs aux saints elle est égale.
Elle lit Rodriguez, fait l’oraison mentale,
Va pour les malheureux quêter dans les maisons,
Hante les hôpitaux, visite les prisons,
Tous les jours à l’église entend jusqu’à six messes :
Mais de combattre en elle, et dompter ses foiblesses,
Sur le fard, sur le jeu, vaincre sa passion,
Mettre un frein à son luxe, à son ambition,
Et soumettre l’orgueil de son esprit rebelle :
C’est ce qu’en vain le ciel voudrait exiger d’elle.
Et peut-il, dira-t-elle, en effet l’exiger ?
Elle a son directeur, c’est à lui d’en juger.
Il faut, sans différer, savoir ce qu’il en pense.
Bon ! Vers nous à propos je le vois qui s’avance.
Qu’il paraît bien nourri ! Quel vermillon ! Quel teint !
Le printemps dans sa fleur sur son visage est peint :
Cependant, à l’entendre, il se soutient à peine.
Il eut encore hier la fièvre et la migraine :
Et sans les prompts secours qu’on prit soin d’apporter,
Il serait sur son lit peut-être à tremblotter.
Mais de tous les mortels, grâce aux dévotes âmes,
Nul n’est si bien soigné qu’un directeur de femmes.
Quelque léger dégoût vient-il le travailler ?
Une faible vapeur le fait-elle bâiller ?
Un escadron coiffé d’abord court à son aide :
L’une chauffe un bouillon, l’autre apprête un remède,
Chez lui sirops exquis, ratafias vantés,
Confitures surtout volent de tous côtés.
Car de tous mets sucrés, secs, en pâte, ou liquides,
Les estomacs dévots toujours furent avides :
Le premier massepain pour eux, je crois, se fit,
Et le premier citron à Rouen fut confit.
Notre docteur bientôt va lever tous ses doutes,
Du paradis pour elle il aplanit les routes ;
Et loin sur ses défauts de la mortifier
Lui-même prend le soin de la justifier.
« Pourquoi vous alarmer d’une vaine censure ?
Du rouge qu’on vous voit on s’étonne, on murmure.
Mais a-t-on, dira-t-il, sujet de s’étonner ?
Est-ce qu’à faire peur on veut vous condamner ?
Aux usages reçus il faut qu’on s’accommode,
Une femme surtout doit tribut à la mode.
L’orgueil brille, dit-on, sur vos pompeux habits.
L’oeil à peine soutient l’éclat de vos rubis.
Dieu veut-il qu’on étale un luxe si profane ?
Oui, lorsqu’à l’étaler notre rang nous condamne.
Mais ce grand jeu chez vous comment l’autoriser ?
Le jeu fut de tout temps, permis pour s’amuser.
On ne peut pas toujours travailler, prier, lire :
Il vaut mieux s’occuper à jouer qu’à médire.
Le plus grand jeu joué dans cette intention,
Peut même devenir une bonne action.
Tout est sanctifié par une âme pieuse.
Vous êtes, poursuit-on, avide, ambitieuse,
Sans cesse vous brûlez de voir tous vos parens,
Engloutir à la cour charges, dignités, rangs.
Votre bon naturel en cela pour eux brille.
Dieu ne nous défend point d’aimer notre famille.
D’ailleurs tous vos parens sont sages, vertueux.
Il est bon d’empêcher ces emplois fastueux,
D’être donnés peut-être à des âmes mondaines,
Éprises du néant des vanités humaines.
Laissez-là, croyez-moi, gronder les indévots,
Et sur votre salut demeurez en repos. »
Sur tous ces points douteux c’est ainsi qu’il prononce.
Alors croyant d’un ange entendre la réponse,
Sa dévote s’incline et calmant son esprit,
A cet ordre d’en haut sans réplique souscrit.
Ainsi pleine d’erreurs, qu’elle croit légitimes,
Sa tranquille vertu conserve tous ses crimes :
Dans un cœur tous les jours nourri du sacrement
Maintient la vanité, l’orgueil, l’entêtement,
Et croit que devant Dieu ses fréquents sacrilèges
Sont pour entrer au ciel d’assurés privilèges.
Voilà le digne fruit des soins de son docteur.
Encore est-ce beaucoup, si ce guide imposteur,
Par les chemins fleuris d’un charmant quiétisme
Tout à coup l’amenant au vrai molinosisme,
Il ne lui fait bientôt, aide de Lucifer,
Goûter en paradis les plaisirs de l’enfer.
Mais dans ce doux état molle, délicieuse,
La hais-tu plus, dis-moi, que cette bilieuse,
Qui follement outrée en sa séverité,
Baptisant son chagrin du nom de piété,
Dans sa charité fausse, où l’amour propre abonde,
Croit que c’est aimer Dieu que haïr tout le monde.
Il n’est rien où d’abord son soupçon attaché
Ne présume du crime, et ne trouve un péché.
Pour une fille honnête et pleine d’innocence,
Croit-elle en ses valets voir quelque complaisance ?
Réputés criminels les voilà tous chassés,
Et chez elle à l’instant par d’autres remplacés.
Son mari qu’une affaire appelle dans la ville,
Et qui chez lui, sortant, a tout laissé tranquille,
Se trouve assez surpris, rentrant dans la maison,
De voir que le portier lui demande son nom,
Et que parmi ses gens changés en son absence,
Il cherche vainement quelqu’un de connoissance.
« Fort bien ! Le trait est bon. Dans les femmes» , dis-tu,
« Enfin, vous n’approuvez ni vice, ni vertu.
Voilà le sexe peint d’une noble manière !
Et Théophraste même aidé de La Bruyère,
Ne m’en pourrait pas faire un plus riche tableau.
C’est assez : il est temps de quitter le pinceau.
Vous avez désormais épuisé la satire. »
– Epuisé, cher Alcippe ! Ah ! Tu me ferais rire !
Sur ce vaste sujet si j’allais tout tracer,
Tu verrais sous ma main des tomes s’amasser.
Dans le sexe j’ai peint la piété caustique.
Et que serait-ce donc, si censeur plus tragique,
J’allois t’y faire voir l’athéisme établi,
Et non moins que l’honneur le ciel mis en oubli ?
Si j’allois t’y montrer plus d’une capanée,
Pour souveraine loi mettant la destinée,
Du tonnerre dans l’air bravant les vains carreaux,
Et nous parlant de Dieu du ton de Des-Barreaux ?
Mais, sans aller chercher cette femme infernale,
T’ai-je encor peint, dis-moi, la fantasque inégale,
Qui m’aimant le matin, souvent me hait le soir ?
T’ai-je peint la maligne aux yeux faux, au cœur noir ?
T’ai-je encore exprimé la brusque impertinente ?
T’ai-je tracé la vieille à morgue dominante,
Qui veut vingt ans encore après le sacrement,
Exiger d’un mari les respects d’un amant ?
T’ai-je fait voir de joie une belle animée,
Qui souvent d’un repas sortant toute enfumée,
Fait même à ses amants trop faibles d’estomac
Redouter ses baisers pleins d’ail et de tabac ?
T’ai-je encore décrit la dame brelandière,
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière,
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L’hôtesse d’une auberge à dix sous par repas ?
Ai-je offert à tes yeux ces tristes Tysiphones,
Ces monstres pleins d’un fiel, que n’ont point les lionnes,
Qui prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc,
S’irritent sans raison contre leur propre sang ;
Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
Battent dans leurs enfans l’époux qu’elles haïssent,
Et font de leur maison digne de Phalaris,
Un séjour de douleurs, de larmes et de cris ?
Enfin t’ai-je dépeint la superstitieuse,
La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien,
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien ?
Il en est des milliers : mais ma bouche enfin lasse
Des trois-quarts, pour le moins, veut bien te faire grâce.
« J’entends. C’est pousser loin la modération.
Ah ! Finissez, dis-tu, la déclamation.
Pensez-vous qu’ébloui de vos vaines paroles,
J’ignore qu’en effet tous ces discours frivoles
Ne sont qu’un badinage, un simple jeu d’esprit
D’un censeur, dans le fond, qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête,
Quand vous plaçâtes l’homme au dessous de la bête ?
Mais enfin vous et moi c’est assez badiner.
Il est temps de conclure ; et pour tout terminer,
Je ne dirai qu’un mot. La fille qui m’enchante,
Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N’a pas un des défauts que vous m’avez fait voir.
Si par un sort pourtant qu’on ne peut concevoir,
La belle tout à coup rendue insociable,
D’ange, ce sont vos mots, se transformait en diable :
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,
Lui dire : hé bien, madame, il faut nous séparer.
Nous ne sommes pas faits, je le vois, l’un pour l’autre.
Mon bien se monte à tant : tenez, voilà le vôtre.
Partez : délivrons-nous d’un mutuel souci. »
– Alcippe, tu crois donc qu’on se sépare ainsi ?
Pour sortir de chez toi, sur cette offre offensante,
As-tu donc oublié qu’il faut qu’elle y consente ?
Et crois-tu qu’aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t’y persécuter ?
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,
De ses prétentions, va t’offrir un volume.
Car, grâce au droit reçu chez les parisiens,
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,
Dans ses prétentions une femme est sans borne.
Alcippe, à ce discours, je te trouve un peu morne.
« Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder. »
– Des arbitres… tu crois l’empêcher de plaider ?
Sur ton chagrin déjà contente d’elle-même,
Ce n’est point tous ses droits, c’est le procès qu’elle aime.
Pour elle un bout d’arpent qu’il faudra disputer,
Vaut mieux qu’un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n’est point de droit qui s’éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse,
Et sur l’art de former un nouvel embarras,
Devant elle Rolet mettrait pavillon bas.
Crois-moi, pour la fléchir trouve enfin quelque voie :
Ou je ne réponds pas dans peu qu’on ne te voie
Sous le faix des procès abattu, consterné,
Triste, à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre,
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre.
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Nicolas BOILEAU
Nicolas Boileau, dit aussi Boileau-Despréaux, le « législateur du Parnasse » (né le 1er novembre 1636 à Paris et mort le 13 mars 1711 à Paris), est un poète, écrivain et critique français. Quinzième enfant de Gilles Boileau, greffier de la Grand’ Chambre du Parlement de Paris, Nicolas Boileau est, dès son plus jeune... [Lire la suite]
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Traditional
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