Poème '06 – Le Baiser d’Ervare' de Francis VIELÉ-GRIFFIN dans 'La Légende ailée de Wieland le forgeron'

06 – Le Baiser d’Ervare

Francis VIELÉ-GRIFFIN
Recueil : "La Légende ailée de Wieland le forgeron"

Soudain c’est un cri,
Et des voix et voici :
Slafide, surgi du bois, a saisi
Lodrune, à pleins bras, dans un frisson de plumes!
Égile courbe l’Oline et sa grâce
Et lui prend un baiser, face à face…
La surprise diverse,
Puis des cris et un rire,
Et le baiser encore
Aux lèvres qui se cherchent;

Wieland est debout ; il hésite, fébrile,
Troublé d’une ivresse, las d’une joie amère,
Triste et gai à la fois
Et penché sur son rêve profond
Comme l’aurore et la mer ;
11 regarde et s’attarde ;
Il hésite ;

Mais Égile:
(C’est un rire double qu’un long baiser confond)
« Prends donc celui-ci, fille blanche!
Vois, l’Alvitte!
Il a peur de sa joie,
Ce n’est pas un chasseur; il a peur!
C’est une proie, c’est ta proie!
Saisis-le et fais vite! »

Et Slafide
(Il retient son butin,
Rose de rire aux baisers qui la criblent.
Il tient Lodrune à pleines mains) :
« Wieland, crie-t-il, ton étreinte est terrible ;
Qu’as-tu fait de ta force?
N’étreins-tu que les ours? »

Wieland rit ; il hésite :
Alors, Ervare l’Alvitte
Met ses bras au cou blanc de Wieland,
Chair si blanche qu’on eût dit une fille,
Elle le brûle à la bouche
De ses lèvres, et l’étouffe
D’un long baiser.
Aspirant son souffle
Jusqu’à s’en griser…

De ses bras à son cou,
Elle a fait un anneau de sa chair qu’elle noue :
Depuis les petits doigts tressés, les mains,
Jusqu’au coude arrondi qui le presse,
Et d’épaule en épaule ;
Anneau tiède et léger qui le brûle et lui pèse ;
Et la tête fine et la gorge de neige
Et les yeux sur ses yeux abaissés
Et la bouche sur la sienne sans parole qu’un baiser
Et la claire résille de ses cheveux tombés
Que  la brise rejette
L’enlace en ses anneaux de feu…
La forme de son rêve est vivante et l’étreint!
Et le manteau des peines est léger autour d’eux,
Comme le plumage des cygnes
Et la senteur des pins.

La force de Wieland aux mains fortes,
Enveloppe la fille et l’emporte :
Comme un fardeau de fleurs soulevé
Vers la lèvre enivrée
Fait crier tout le sang
Et voile le regard,
Ainsi la saveur est si douce en sa bouche
Qu’il en tremble,
Le fardeau, si léger qu’il faiblit au départ.

Et ils vécurent ensemble;
Du baiser de l’Alvitte Wieland conçut un art.

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

Aucun commentaire

Rédiger un commentaire

Francis VIELÉ-GRIFFIN

Portait de Francis VIELÉ-GRIFFIN

Francis Vielé-Griffin, né aux États-Unis à Norfolk (Virginie) le 26 avril 1864 et mort le 11 décembre 1937, est un poète symboliste français. Fils du général Viélé , il conserva sa nationalité américaine. Installé en Touraine il termina sa vie dans le Périgord où ses filles s’étaient mariées. Avec Gustave Kahn, il... [Lire la suite]

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS