Noire bise, averse glapissante
Noire bise, averse glapissante,
Et fleuve noir, et maisons closes,
Et quartiers sinistres comme des Morgues,
Et l’Attardé qui à la remorque traîne
Toute la misère du cœur et des choses,
Et la souillure des innocentes qui traînent,
Et crie à l’averse. « Oh, arrose, arrose
« Mon cœur si brûlant, ma chair si intéressante!»Oh, elle, mon cœur et ma chair, que fait-elle ?…
Oh ! si elle est dehors par ce vilain temps,
De quelles histoires trop humaines rentre-t-elle ?
Et si elle est dedans,
À ne pas pouvoir dormir par ce grand vent,
Pense-t-elle au Bonheur,
Au bonheur à tout prix
Disant: tout plutôt que mon cœur reste ainsi incompris ?
Soigne-toi, soigne-toi! pauvre cœur aux abois.(Langueurs, débilité, palpitations, larmes,
Oh, cette misère de vouloir être notre femme !)Ô pays, ô famille !
Et l’âme toute tournée
D’héroïques destinées
Au delà des saintes vieilles filles,
Et pour cette année !Nuit noire, maisons closes, grand vent,
Oh, dans un couvent, dans un couvent !Un couvent dans ma ville natale
Douce de vingt-mille âmes à peine,
Entre le lycée et la préfecture
Et vis-à-vis la cathédrale,
Avec ces anonymes en robes grises,
Dans la prière, le ménage, les travaux de couture;
Et que cela suffise…
Et méprise sans envie
Tout ce qui n’est pas cette vie de Vestale
Provinciale,
Et marche à jamais glacée,
Les yeux baissés.
Oh ! je ne puis voir ta petite scène fatale à vif,
Et ton pauvre air dans ce huis-clos,
Et tes tristes petits gestes instinctifs,
Et peut-être incapable de sanglots !Oh ! ce ne fut pas et ce ne peut être,
Oh ! tu n’es pas comme les autres,
Crispées aux rideaux de leur fenêtre
Devant le soleil couchant qui dans son sang se vautre!
Oh ! tu n’as pas l’âge,
Oh, dis, tu n’auras jamais l’âge,
Oh, tu me promets de rester sage comme une image?…La nuit est à jamais noire,
Le vent est grandement triste,
Tout dit la vieille histoire
Qu’il faut être deux au coin du feu,
Tout bâcle un hymne fataliste,
Mais toi, il ne faut pas que tu t’abandonnes,
À ces vilains jeux !…
À ces grandes pitiés du mois de novembre !
Reste dans ta petite chambre,
Passe, à jamais glacée,
Tes beaux yeux irréconciliablement baissés.Oh, qu’elle est là-bas, que la nuit est noire !
Que la vie est une étourdissante foire !
Que toutes sont créature, et que tout est routine !
Oh, que nous mourrons !Eh bien, pour aimer ce qu’il y a d’histoires
Derrière ces beaux yeux d’orpheline héroïne,
Ô Nature, donne-moi la force et le courage
De me croire en âge,
Ô Nature relève-moi le front !
Puisque, tôt ou tard, nous mourrons….
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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